« Les hommes combattent et perdent la bataille, et la chose pour laquelle ils ont lutté advient malgré leur défaite. Quand elle advient, elle s’avère être différente de ce qu’ils avaient visé, et d’autres hommes doivent alors combattre pour ce qu’ils avaient visé, sous un autre nom. »
William Morris.
« Ce que la vie m’a révélé,
ce n’est point l’idée socialiste,
c’est la nécessité du combat ».
Jean Jaurès.
extrait du prologue :
Pour me distraire, j’ai tapé « Peillon + lutte des classes » sous Google. Le moteur de
recherche aurait plu aux surréalistes, lui qui permet ces rapprochements incongrus et offre des
liens comme des paquets surprises. Cette fois encore, « 28400 pages en français » se sont
affichées en « 0,23 secondes ». Mais aucune citation recensée, aucune fois où il aurait
prononcé – et se serait prononcé sur – la « lutte des classes ».
J’ai essayé à sa gauche : « Buffet + lutte des classes ».
Rien non plus.
Surpris, j’ai parcouru les discours de la candidate communiste, une bonne dizaine, proférés
lors de la campagne présidentielle 2007. Après vérification : non. Marie-Georges Buffet n’a
pas utilisé une seule fois l’expression « lutte des classes ». Pas même le terme « classe ».
Sans doute a-t-elle reçu des conseils de communicants, qui lui ont susurré qu’il fallait « parler
franc », « direct », « sincère », le « langage du coeur », et que ces machins-là, « lutte des
classes » et compagnie, ça sonnait « vieux jeu », « ringard », « has-been », « pas du tout
tendance ». La candidate du PC gommait son lexique comme on efface des rides, fausse cure
de jouvence par un glossaire rafraîchi. A la place, Marie-Georges Buffet enfilait les détresses
comme des perles : « Je peux vous parler des ouvrières d'ECCE qui viennent de nous faire
part des menaces pesant sur leur entreprise, alors que je peux témoigner de la qualité de leur
travail, des Diebold, qui occupent leur usine, des salariés de l'imprimerie JDC dont la
multinationale donneuse d'ordre ne respecte pas son engagement commercial. Je peux dire ici
au nom des infirmières de l'hôpital Saint Louis leur besoin de temps pour récupérer, tant est
lourde leur tâche. Je peux ici témoigner pour cette femme du 11ème arrondissement de Paris
qui fait vivre sept personnes dans quelques mètres carrés. Elle tient, me dit-elle, pour que ses
enfants fassent des études. J'ai au coeur cette retraitée qui sur le marché, dans ma ville, me
disait sa douleur de devoir aller au resto du coeur », etc. et l’énumération dure encore.
Je lui ai téléphoné pour lui demander pourquoi. Place du colonel Fabien, son attaché de presse
m’a passé son porte-plume, Pierre-François Kochlin :
« Jamais vous n’avez utilisé l’expression ‘lutte des classes’, ni même le mot ‘classe’ ?
-Ah… Oui, possible… Vous me l’apprenez, mais c’est une info… On a dû estimer,
inconsciemment, que le mot en lui-même était… Parce que, pour moi, les conflits de classes,
c’est une évidence, alors quand on dit ‘la droite’, ça suffit…
-Vous avez quel âge ?
-Je vais vers la trentaine.
-Bon, moi je viens de dépasser la trentaine, mais vous voyez, dans notre génération, je n’ai
pas l’impression que l’appartenance à une ‘classe’ relève de l’évidence. Et encore moins
la‘lutte des classes’…
-Je n’avais pas pensé à ça. Mais vous avez raison.
-Est-ce que, bon, je ne veux pas donner de leçons, mais est-ce que en abandonnant les mots,
vous ne participez pas à cet abandon d’une conscience de classe, qui réclamerait d’abord une
prise de conscience ?
-C’est de facto la question que je me posais. Et peut-être que le caractère anonyme des
marchés financiers, les fonds de pension, bon, ça n’est plus le patron avec son cigare…
-J’irais plus loin : en abandonnant ces mots, c’est toute une logique que vous abandonnez. Et
pardonnez-moi, mais justement : il me semble que, dans vos discours, il n’y plus de logique.
Je veux dire, on aligne tout ce qui va mal dans le monde, mais derrière on ne perçoit aucune
analyse…
-Oui, ça c’est un signe de tout ce qu’on a négligé à un moment, et qui est à reconstruire. »
Y a du boulot tant, à mes yeux, son inventaire des calamités terrestres s’avère dépourvu
d’armature intellectuelle. Une dégoulinade de tristesses qui conduit davantage au fatalisme
qu’au combat.
Mais quel combat, au fait ?
Car j’ai relevé une autre absence : pas d’ « ennemi de classe », et pas d’ « ennemi » tout court.
Pas davantage d’ « adversaire ».
Ainsi va la gauche : elle s’émascule. Elle s’effraie de son ombre. Elle se prive de son propre
vocabulaire, pourtant forgé dans la peine. Elle s’interdit de poser un mot sur une chose.
Comment oserait-elle, alors, demain, transformer les choses si elle n’ose pas, aujourd’hui,
simplement prononcer les mots ? 3
« La lutte des classes existe, et c’est la mienne qui est en train de la remporter. »
C’est en cherchant « Buffet + lutte des classes » sous Google, donc, que je suis tombé sur
cette phrase de « Buffett ».
Pas Marie-Georges, non Warren.
Deux « t » deux « f ».
notes :
2 Tribune de Vincent Peillon, Nouvel Observateur, « Les chemins de nos ruptures », 23/08/07
3Discours de Marie-George Buffet au Zénith, 23/01/07. Le relevé lexical a été effectué à partir du site Internet
de Jean Véronis, « Technologies du langage » : http://aixtal.blogspot.com/
lien au prologue du livre de François Ruffin
Remerciements au Réveil communiste pour le choix de cet extrait
Oui!..." la gauche s'effraie de son ombre!"..de l'importance des mots, dans un silence sournoisement oublieux est étouffée la réalité de l'injustice sociale, sa source même!
semaphore
Les Amis du Monde Diplomatique
reçoivent mardi 13 janvier à 20h30 au salon du Belvédère au Corum
François Ruffin pour une conférence-débat autour de son livre La guerre des classes
éditions Fayard
« La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la remporter.»C’est Buffett qui a formulé ce jugement.
Pas Marie-George, non. Warren.
Deux «f», deux «t».
La première fortune mondiale.
Jamais nous n’aurions osé, nous, prononcer ces mots, «guerre des classes»: par crainte de paraître «archaïques», «simplistes», «manichéens». Et, avec nous, c’est toute une gauche qui s’autocensure, qui s’enlise dans le salmigondis de la «complexité». Toute une gauche avec des chefs qui déguisent leur lâcheté en «courage», leur renoncement en «audace», et qui causent gentiment de «rénovation», de «modernisation» pour mieux masquer leur trahison.
François Ruffin est reporter pour l’émission de France Inter Là-bas si j’y suis et collabore au Monde diplomatique.
le Grain des mots y tiendra étal de librairie
www.legraindesmots.com
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