lundi 27 octobre 2008

Infiltré en maison de retraite : mon analyse

Infiltré en maison de retraite : mon analyse


vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=ve0wXMdSsVk&feature=related

Par William Rejault

J'ai regardé le documentaire "Les Infiltrés" sur le "scandale des maisons de retraite". Je travaille dans le milieu médical depuis 1995, auprès de personnes dépendantes depuis 2002 (handicap ou vieillesse) et je n'ai rien vu de surprenant dans ce reportage.

Oui, il y a deux personnes non-qualifiées pour 36 résidents, à nettoyer en moins de trois heures. Pourquoi non qualifiées? Elles coûtent moins cher, tiennent plus à leur poste et, en conséquence, obéissent plus aux ordres ubuesques que du personnel diplômé. Double avantage d'embaucher une auxiliaire de vie à la place d'une aide-soignante: on économise plus de cent euros par mois et elle reste plus longtemps en place, sans trop se plaindre.

Pourquoi seulement deux personnes pour 36 résidents ? Mais parce que la loi le permet, parce que le marché l'impose parfois (d'importants groupes privés possèdent des maisons de retraite qui rapportent plus que la bourse...et sont considérées comme un placement sûr! Forcément, elles ne vont ni disparaître, ni dégringoler) ou, plus grave, parce qu'on ne trouve personne pour faire le boulot! Qui veut aller passer dix heures par jour, en semaine comme en week-end (le dimanche n'est pas payé double chez les soignants, pour info), jour férié ou pas, à travailler vite et mal, en fermant les yeux pour ne pas voir l'abandon, en se bouchant les oreilles pour ignorer les suppliques (trop nombreuses pour y répondre), les mains dans la merde, la souffrance ou les escarres, pour 900 euros par mois? Qui voudrait de ce travail?

Oui, les aides-soignants font le travail de l'infirmière: ils assument des pansements d'escarre parfois complexes (et potentiellement dangereux pour la personne atteinte), distribuent des médicaments sans vérifier leur prise ou connaître leur toxicité. Pourquoi et comment laisse-t-on faire? On laisse faire car il n'y a plus assez d'infirmières en France. Elles n'ont pas été formées en nombre dans les années 90 et, malgré l'ouverture en grand des écoles (nommées IFSI) récemment, les candidats ne se bousculent pas pour s'asseoir sur les bancs. La raison? Le salaire, bien évidemment, non valorisé depuis des années (Roselyne Bachelot a avoué qu'une augmentation des infirmières coûterait plus de 3 milliards à l'Etat et s'est contentée de louer...leur dévotion), la non-reconnaissance du diplôme (39 mois d'études reconnus Bac+2), l'effroyable explosion des responsabilités, liées au manque de médecin... mais surtout les conditions de travail, se dégradant lentement depuis une vingtaine d'années, de façon méthodique et organisée, si vous voulez mon avis. On pousse les gens à payer pour avoir du soin privé de qualité, en laissant se dégrader le soin public. C'est un choix politique. Comme aux Etats-Unis, en France, désormais et dans l'avenir, il y aura deux façons de se soigner: en sortant la carte bleue ou en sortant la carte Vitale.

Oui, on laisse "croupir" (pour reprendre le terme d'une dame dans le reportage) les vieux dans les maisons de retraite, mais pas dans toutes. Je ne vais pas vous mentir, cependant, 80% des vieux que j'ai croisés en 13 ans de pratique sont laissés seuls, livrés à eux-même pendant la journée. Ils se chient dessus (mais ils ont une couche, changée de façon plus ou moins régulière), meurent de faim (avec un plateau abandonné devant eux mais personne pour porter une cuillère à leur bouche) et contemplent la télé ou des murs écaillés, attendant la mort. Rarement on leur parle, rarement on les stimule. Pas le temps, pas le personnel, pas l'argent pour embaucher une animatrice, une ergothérapeute. Je noircis le tableau? Vous le pensez sincèrement? Le reportage des "Infiltrés" a le mérite de raconter comment la France gère et va gérer de plus en plus ses vieux: comme elle le peut ou comme elle le souhaite, en détournant le regard.

Une dernière réflexion: un reportage de M6, l'an passé, montrait une maison de retraite, en plein Paris, illégale et clairement maltraitante, plus de cent vieux, enfermés à l'intérieur, attendaient la mort en subissant les soins (?) quotidiens. La DDASS avait demandé la fermeture administrative et l'avait obtenue...mais personne n'était venu fermer la résidence, qui est encore ouverte. Qu'allait-on faire de cent vieux, une fois fermé le mouroir? Où les mettre? A qui refiler le bébé?

Coluche disait avec beaucoup de justesse qu'il aurait mieux aimé "mourir de son vivant". Pour tous ceux qui crèvent à petit feu, sans la moindre dignité, pour vos parents et pour vous, aussi, un jour, je vous souhaite de mourir surtout sans votre conscience ou toute votre tête: ce qu'il reste après la perte d'autonomie n'est franchement pas beau à voir.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

je suis stupéfaite de ton analyse, ça me parait sévère, mais ... je n'ai aucune connaissance en ce domaine. C'est très choquant. ça donne envie de mourir avant !!! et de ne pas y mettre nos vieux, même ceux qu'on aime pas. J'y pense des fois.

sémaphore a dit…

Emelire, il ne s'agit pas de mon analyse mais de celle de William Rejault, je n'ai la télé et je n'ai vu que des extraits proposés sur internet mais ce qui est dit est une réalité qui se rencontre non seulement en maison de retraite mais dans tous lieux de soin tels que les hôpitaux et les cliniques, pour le milieu psychiatrique relire le témoignage de Sandrine Bonnaire concernant l'internement de sa soeur Sabine et voir son documentaire éloquent...
J'ai vu par moi-même des comportements aberrants que ce soit dans les maisons de retraite tout comme dans les hôpitaux publics, j'ai été témoin de nombre de disfonctionnements, de conduites irrespectueuses, de propos indignes de la fonction de soignants.
Oui, des personnes âgées ou fragiles peuvent mourir de faim ou de soif…
Une personne âgée avait un humidificateur pour l’aider à respirer, seulement l’humidificateur fonctionnait sans eau, donc lui desséchait plus sûrement les muqueuses, cette même personne ayant eu une hypoglycémie durant la nuit, il lui a été remis une compote qu’elle était dans l’impossibilité de pouvoir prendre par elle-même tant elle était déjà en situation de malaise avancé, l’équipe de nuit ne s’en préoccupant guère…Je me suis levée pour la lui faire manger à la cuillère…
Non, il n’est pas souhaitable de fréquenter les lieux de soins, d’être hospitalisé, ni de savoir ses proches l’être !
Certains membres des équipes médicales sont vraiment odieux envers les patients, ils devraient envisager de choisir une autre profession !

En outre le gouvernement semble découvrir la maltraitance et s'indigne en affirmant son désir de voir cet établissement fermé mais le problème est beaucoup plus grave, une fermeture ne saurait résoudre ce phénomène, de véritables alternatives doivent être mises en place, certains praticiens, certaines structures agissent en ce sens mais elles sont encore trop peu nombreuses

Si veillir c'est finir ses jours dans un milieu carcéral sous camisole chimique, insulté/e, torturé/e, cobaye humain méprisé/e...alors oui "mourir de son vivant!"

Anonyme a dit…

il ne faut pas croire ... j'ai pourtant rencontré très vite dans ma vie de la cruauté et perversité humaine ... mais c'est absurde même avec ça devant les yeux je "refuse" toujours de le voir et d'y croire vraiment, je persiste à vouloir croire autre chose, tout en luttant (via le féminisme) contre cette cruauté. C'est juste que ce filtre devant mes yeux doit probablement m'aider à vivre. Il faut vraiment prendre soin de ceux que nous aimons ... je crois que l'entourage (qu'une personne ne soit pas abandonnée) compte beaucoup !