Article paru le 5 septembre 2002
source : http://www.humanite.fr/Tribune-libre-Florence-Montreynaud
" Mon corps est à moi, j’en fais ce que je veux ", disent certaines femmes prostituées en revendiquant la dignité de leur " métier ", et l’appellation de " travailleuse du sexe " ou de " vendeuse de services sexuels ". Peut-on pousser aussi loin la logique de la revendication féministe des années soixante-dix - " le droit de disposer de son corps " ? Si " mon corps est à moi ", c’est dans la limite d’une acceptation sociale qui, en Occident, va croissant. Je n’ai pas le droit de sortir nue dans la rue, ni de déféquer en public, mais je peux me mutiler, et je peux me suicider. En revanche, le corps d’autrui ne m’appartient pas. Il est interdit de mutiler quelqu’un ou de l’aider à se suicider. Refuser un rapport sexuel non désiré est un droit humain, et la connaissance de ce droit est l’un des progrès de la conscience humaine dus aux féministes. Renoncer à ce droit, en vendant l’accès à son sexe sans désir, en traitant son propre corps comme un moyen, est un acte qui ne concerne pas seulement une personne. C’est un marché qui engage deux personnes et, au-delà d’elles, une société qui le tolère, l’organise ou l’interdit. C’est un échange qui touche à une valeur universelle : la dignité humaine.
Il y a, en France, des millions de " viandards ", de ces hommes qui louent un orifice d’un autre corps, de femme, d’homme, ou d’enfant, sans se soucier de ce qui a amené à se prostituer des personnes à l’itinéraire souvent marqué par des violences. Acheter l’accès au corps d’autrui serait-il l’un des droits de l’homme, ou plutôt du mâle français ? L’argent donne-t-il tous les droits ? Non, car le corps humain ne peut pas faire l’objet d’un marché. Non, car le corps humain n’est pas une marchandise. C’est un principe du droit français : le corps humain est inaliénable, c’est-à-dire que nul ne peut ni le vendre, ni l’acheter, ni le louer, en totalité ou en partie. Le Conseil d’État a déclaré illégale la location d’utérus (les " mères porteuses "). Sur quels fondements pourrait-on admettre, et à plus forte raison organiser, la location d’un vagin, d’un anus ou d’une bouche, le commerce de viande humaine ? Louer un orifice de son corps pour un usage sexuel n’est ni un service ni un métier comme les autres. Certains défendent le droit de se prostituer, et le nomment prostitution " libre " ; ils se limitent à condamner le fait d’être prostitué(e), appelé prostitution " forcée ". Pourtant, une exploitation indigne, même consentie, même présentée par la victime comme le résultat d’une décision personnelle, reste une exploitation indigne.
Que des femmes prostituées cherchent à renforcer leur estime d’elles-mêmes par des déclarations d’autovalorisation, cela peut se comprendre. Quand des personnes non prostituées leur font écho, il arrive qu’elles se laissent duper par des proclamations d’indépendance, souvent fallacieuses, car aucune prostituée ne peut reconnaître en public qu’elle est sous la coupe de proxénètes.
Un des exemples les plus frappants est celui d’Ulla, meneuse de la révolte des prostituées lyonnaises en 1975 ; elle prétendait se prostituer librement, mais, quand elle changea de vie, elle s’étonna :
" Comment avez-vous pu me croire ? "
Se prostituer ne peut pas être un droit. Le droit qu’il faut gagner pour tous les humains est celui de ne pas se prostituer, tout en obtenant que les personnes prostituées aient des droits en tant que personnes et non en tant que prostituées. Il faut affirmer le droit de se soustraire à l’exploitation sexuelle et aider ceux qui cherchent à y échapper. Il faut contester le droit que se donnent certains, de par leur argent, d’accéder au sexe d’autres personnes.
Il faut expliquer les causes premières de la prostitution :
la demande des " viandards ", et la marchandisation de la sexualité.
Il faut dire qu’une personne n’est pas une marchandise.
Mais qu’une personne est une personne.
(*) Fondatrice et présidente de l’association Les Chiennes de garde. Dernier ouvrage paru : Bienvenue dans la meute !, La Découverte, 2001, collection Cahiers libres, 250 pages, 17,53 euros.
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