mercredi 6 août 2008

Conséquences psychiques et physiques de la prostitution par Judith Trinquart

Conséquences psychiques et physiques de la prostitution

article publié le 23/10/2002
auteur-e(s) : Trinquart Judith

Les conséquences psychiques et physiques de la situation prostitutionnelle sont très graves pour la personne prostituée et ne se distinguent pas à la base des conséquences de la traite. Il est très important de noter également que le lien entre antécédents de violences sexuelles ) et entrée en prostitution est très fort : selon différentes sources, entre 80 et 95% des personnes prostituées présenteraient de tels antécédents. L’article de Judith Trinquart, médecin, propose des solutions pour une prise en charge efficace et appropriée des personnes prostituées.


Conséquences psychiques et physiques de la situation prostitutionnelle – Implications en termes de prise en charge socio-sanitaire

Cconséquences psychiques

Les conséquences psychiques de la situation prostitutionnelle se manifestent par des troubles psychiques de types dissociatif, c’est-à-dire un véritable clivage ou dissociation psychique entre la personnalité prostituée et la personnalité « privée » de la personne prostituée, constituant l’aspect psychique de la décorporalisation.

Ce clivage est un mécanisme de défense psychique contre les agressions et violences vécues dans la situation prostitutionnelle ; la première de ces violences est de subir des rapports sexuels non désirés de manière répétitive.

Les notions fondamentales en matière de sexualité sont celles de désir, de plaisir et de partage, conséquent de la bilatéralité de la relation. Dans la situation prostitutionnelle, ces notions se trouvent complètement perverties, et la notion de bilatéralité de l’échange disparaît totalement. La situation prostitutionnelle n’est donc pas un échange ou une relation à caractère humain, pas plus qu’une forme de sexualité.

Le fait de subir ces rapports sexuels de manière répétitive et non désirée entraîne une dissociation psychique afin de pouvoir départager les deux univers de la personne, et surtout protéger le domaine privé des atteintes vécues dans le domaine prostitutionnel en se coupant de ce qui est éprouvé dans ce dernier. Celui-ci est totalement factice : c’est une situation simulant une relation humaine mais où tout est artificiel ; les sentiments et les émotions n’existent pas, ils sont refoulés car considérés comme des obstacles par l’acheteur de services sexuels. L’absence de tout affect humain (autre que négatif, tel que mépris de la personnalité, déni de ses désirs, ignorance de son identité humaine, assimilation à un objet sexuel totalement soumis, en résumé tout ce qui fait le caractère humain unique d’une personne est nié et doit disparaître au bénéfice du rapport strictement commercial) est extrêmement destructeur pour toute personne vivant cette situation.

Une étude américaine faite dans 5 pays (USA, Zambie, Turquie, Afrique du Sud et Thaïlande) auprès de personnes prostituées a montré la présence de troubles psychiques (dont fait partie la dissociation psychique) analogues à ceux diagnostiqués chez les vétérans de la guerre du Vietnam, chez 67% de ces personnes prostituées : c’est ce que l’on appelle le PTSD (Post Traumatic Stress Disorder), dans lequel peut s’intégrer une décorporalisation.

Conséquences physiques

La dissociation existant sur le plan psychique va se manifester aussi sur le plan physique, car on ne peut dissocier de manière contrôlée le ressenti physique de ce qui se passe dans la tête de la personne ; ces troubles perturbent le fonctionnement de la sensibilité corporelle des personnes prostituées, et sont aussi un mécanisme de défense : ne plus ressentir physiquement ce qui n’est pas désiré.

Les manifestations physiques essentielles vont être des troubles de la sensibilité nociceptive (ou coenesthésique), c’est – à –dire de la sensibilité à la douleur et aux sensations tactiles (du toucher), dus à la dissociation « tête – corps », non – organiques.

Seuil de tolérance à la douleur supérieur à la moyenne et très élevé. Elles sont capables de supporter des douleurs nettement supérieures à celles que peut tolérer la population moyenne. Tolérance importante de symptômes d’alerte ou inquiétants.

Hypoesthésie. Sensibilité tactile et à la douleur inférieure à celle de la population moyenne d’une manière diffuse et générale.

Anesthésie. Plus la situation prostitutionnelle se prolonge dans le temps, plus l’hypoesthésie va se transformer en anesthésie.

Troubles de la sexualité : elle est tronquée, dysfonctionnelle, ou absente. Les subterfuges utilisés pour se protéger des sensations physiques liées à la relation sexuelle dans la situation prostitutionnelle « contaminent » la vie privée, et détruisent la qualité des relations sexuelles privées que ces personnes peuvent avoir.

Il est très important de bien comprendre la signification de l’ensemble de ces symptômes, non seulement sur le plan médical, mais aussi relationnel, social, psychologique et humain d’une manière générale :

Sur le plan médical, toute tentative de proposer des structures ou des actions de soins comme on le fait pour la population générale est vouée à l’échec : n’ayant plus la possession pleine et entière de leur propre corps, le concept même de soin n’évoque rien par rapport à un objet ou un instrument ; le soin se donne à un être vivant. Si le concept de corps dynamique et sujet disparaît, les concepts de soin et de santé disparaissent également. Ce qui n’est plus symbolisé n’est plus réel. L’absence de soins médicaux notamment, découlant de l’auto-négligence corporelle, se fait ressentir de façon importante dans l’évaluation de l’état de santé des personnes prostituées (données françaises, mais résultats similaires dans d’autres pays européens et les USA) :

D’ordre gynécologique : peu ou pas de suivi, de surveillance ou de dépistage pour les MST (dont le sida), pour les cancers gynécologiques, pour les problèmes péri – ménopausiques, pour la contraception, pour les grossesses,….

D’ordre infectieux : mauvaise prise en charge des problèmes infectieux en général (broncho – pulmonaires, ORL, cutanés, …).

D’ordre traumatique : conséquences physiques et psychiques des violences corporelles et sexuelles (coups à mains nues, avec objets contondants, blessures par armes blanches, viols par les proxénètes et les acheteurs) dans la prostitution et la traite, et des violences verbales (menaces, injures,…).

D’ordre psychologique : prise en charge inexistante des conséquences d’antécédents de violences sexuelles et familiales (80% à 95%des personnes prostituées auraient de tels antécédents, selon les enquêtes réalisées sur le sujet), et des conséquences de la pratique prostitutionnelle : dépressions, angoisse, phobies,…aggravant la négligence à prendre soin de son corps et de sa santé.

Aggravation de troubles ou de maladies à composante psychosomatique : dermatoses (eczéma, psoriasis), gastropathies (ulcère gastrique ou duodénal, reflux gastro –oesophagien), problèmes rhumatismaux.

D’ordre addicitf (toxicomanies) : aux drogues dures, aux psychotropes, à l’alcool. Si la toxicomanie peut être primaire, elle est aussi souvent secondaire ou maintenue par la pratique prostitutionnelle, car les personnes prostituées expliquent que cela les aide à supporter leur activité de prostitution et les effractions sexuelles à répétition.

Mauvais suivi en général sur le plan de la santé : réduction quantitative et qualitative des soins de santé.

Ce dernier résulte pour une part des difficultés matérielles et pratiques d’accès aux soins (problème de couverture sociale, problèmes de titres de séjour et de papiers d’identité, problèmes d’inadéquation du personnel et des lieux de soins, problème de stigmatisation sociale) qui sont bien réelles mais dont l’importance a toujours été grossie par rapport à l’autre facteur, plus difficile à identifier : la décorporalisation due à la pratique prostitutionnelle, qui est une perte de la possession pleine et entière de son propre corps, et qui se manifeste par les symptômes psychiques et physiques décrits ci-dessus. La douleur et le ressenti physique ayant disparu, le symptôme n’existe plus lui non plus. Il n’est pas ressenti, et les personnes ne vont plus se faire soigner, parvenant à des états de santé dramatiques avec des maladies très évoluées.

Toutes ces conséquences physiques médicales sont aggravées par l’exercice de violences très graves dans le contexte de la traite des êtres humains, mais on ne peut faire de différence à la base entre les conséquences physiques de la prostitution et celles de la traite. Seule la forme se modifie, mais pas le fond.

La prostitution est le phénomène principal générateur de ces troubles, et la traite des Etres Humains à des fins d’exploitation sexuelle et la prostitution infantile n’en sont que des phénomènes secondaires. C’est l’existence d’un marché pour l’utilisation à caractère sexuel du corps humain qui rend possible les extensions de marché que représentent la traite et la prostitution enfantine. Les conséquences physiques et psychiques mentionnées dans cette intervention sont bien celles de la prostitution, même sans violence physique telles que coups ou blessures, même sans contrainte de proxénètisme ou violence verbale ou psychologique ; d’autres types de violences peuvent se surajouter. Mais encore une fois, la violence primordiale est celle de l’acte sexuel non désiré qui s’apparente à une violence sexuelle compensée par de l’argent.

Sur le plan humain et psychologique, toute relation suivie et vraie est difficile, voire quasiment inexistante. La dissociation et l’éloignement des affects et des sentiments pour se protéger rendent très difficile à construire une relation humaine nécessitant ces éléments. Il y a une ambivalence de la parole et un discours paradoxal, simplement parce que le psychisme est dissocié et la personnalité clivée ; il ne s’agit pas de mensonge ou de manipulation, mais d’alternance très rapide de temps et de lieux différents dans lesquels la parole ou le sens des mots n’ont pas la même valeur ou signification. La signification d’un moment et du lieu est toujours réelle pour la personne.

La constance et la permanence de l’écoute de cette parole sont donc indispensable pour construire une relation de confiance ; il faut savoir écouter tous les aspects d’une même parole pour pouvoir en retrouver le fil conducteur. Deux discours contradictoires chez une même personne prostituée ne sont pas révélateurs d’une simulation ou d’une dissimulation, mais d’une dissociation psychique provoquée par la situation prostitutionnelle.

Sur le plan social, toute action ou aide demande un investissement à long terme, avec présentation répétitive de l’offre d’aide ; le découpage psychique conduisant au découpage du temps et de l’espace en petites unités aléatoires rendent difficile un travail d’une traite, avec un suivi optimal des différentes phases dans l’ordre chronologique. Le travail social ne peut démarrer qu’au moment ou l’offre d’aide tombe dans le bon temps ; la chronologie peut être très désorganisée, le suivi chaotique. Il peut y avoir reprise répétitive d’un travail amorcé sans parvenir à dépasser un stade donné pendant un certain temps.

Liens avec les antécédents de violences sexuelles

Il est très important de noter également que le lien entre antécédents de violences sexuelles (inceste, pédophilie, viols quel que soit l’âge de la victime) et entrée en prostitution est très fort : selon différentes sources, entre 80 et 95% des personnes prostituées (de souche française, chiffre n’ontégrant pas les personnes victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle) présenteraient de tels antécédents.

Si on ne retrouve pas d’antécédents d’inceste et de pédophilie chez toutes les personnes prostituées, on retrouve dans tous les cas des antécédents de famille « déstructurée » avec une image du père très dévalorisée (souvent sur le versant violent) et une image maternelle inexistante ou inconsistante. La mère a un rôle favorisant dans la mauvaise image que l’enfant se constitue de lui-même ; on parle d’injonction maternelle consciente ou inconsciente, c’est-à-dire que c’est la mère elle- même qui place son enfant dans une position où il pense que sa seule valeur est celle d’objet monnayable.

Nous voyons donc une continuité entre ce qui se passe dans l’enfance et ce qui se poursuit dans la vie adulte : on ne devient pas prostituée brutalement, du jour au lendemain. Il n’y a pas une frontière nette entre l’enfance et l’âge adulte.

Les conséquences psychiques des violences sexuelles et de la prostitution sont similaires ; dans la prostitution, nous voyons apparaître en plus des troubles physiques liés à la permanence de la situation d’agression sexuelle.

Nous devons prendre en compte cette continuité des situations de violence sexuelle, et savoir que même lorsque nous ne voyons pas de contrainte directe (comme le proxénète ou les trafiquants), il existe des contraintes psychiques invisibles à l’œil nu, mais tout aussi efficaces. Ces contraintes invisibles mais pourtant réelles montrent que la position de certaines personnes qui considèrent qu’il existe une prostitution « volontaire » ou « libre » n’est pas réaliste.

Quelles solutions pour une prise en charge efficace et appropriée ?

La première chose pour stopper le processus de décorporalisation est l’arrêt de l’activité prostitutionnelle. Pour effectuer une réhabilitation médicale de la capacité et de l’autonomie de prise en charge sanitaire des personnes prostituées, on peut proposer :

Restauration de la parole de la personne prostituée : lieux d’écoute psychologique spécialisée avec des intervenants formés pour écouter et surtout comprendre la parole de ces personnes. L’idéal serait un suivi par un même et unique écoutant pour ne pas rajouter de la rupture dans un milieu où il y en a déjà suffisamment.

Dévictimation : La prise de la parole de la personne prostituée doit s’accompagner d’un processus de dévictimation, terme criminologique désignant l’accompagnement des personnes victimes de toutes formes de violences et traumatismes et leur permettant de passer de la place de victime à une place de personne active ayant réintégré son schéma et son image corporels. La réparation passe par la reconnaissance sociale, les soins, sans oublier la prévention de nouveaux cas de prostitution et la lutte contre les instances qui favorisent le développement de situations prostitutionnelles. Chaque étape de ce difficile parcours peut être l’occasion d’une survictimation (aggravation de la stigmatisation sociale et de situations imposées où la personne est considérée comme passive et non – décisionnaire). Un tel travail d’accompagnement et de soins ne peut se concevoir qu’en mobilisant un réseau d’intervenants variés : justice, psychiatres et psychologues, médecins, association de victimes ou service d’aide aux victimes ". La création notamment de groupes de paroles de survivantes de la prostitution pourrait constituer un bon support de dévictimation en permettant à leur parole de s’exprimer directement, plus librement, avec des possibilités d’être entendues sur la place publique.

Recorporalisation : (permet à la personne de se réapproprier son corps, d’être de nouveau à l’intérieur et en un seul « morceau ») : restauration de l’intégrité corporelle par des soins physiques appropriés, appelés thérapies à médiation corporelle :

soins kinésithérapeutiques permettant de recouvrer le fonctionnement du corps, de réintroduire les perceptions corporelles dans l’espace par des jeux sollicitant la sensibilité profonde et superficielle ; les massages, la fungothérapie peuvent également être utiles pour restaurer la sensibilité cutanée.
activités sportives en groupe, qui sollicite l’interaction de la personne avec les autres participants, la réintègre dans un vrai jeu social, permettant une communication corporelle.
Les activités comme le théâtre, la comédie dans un contexte thérapeutique (art- thérapie) peuvent aussi être intéressantes. Des expériences de théâtre ou de composition littéraire ont été menées par des écrivains et des acteurs auprès de petits groupes de personnes en situation d’exclusion, et les résultats avaient été très positifs, ces personnes se sentant capables, par les rôles ou l’écriture qu’on leur avait confiés, d’être autre chose que des corps passifs et exclus.

Ces propositions sont coûteuses en temps et en argent , mais elles sont incontournables et indispensables si on veut pouvoir réhabiliter physiquement les personnes prostituées.

En même temps que ce travail de recorporalisation, le bilan médical et les soins pourront être entrepris, ces mots pouvant de nouveau prendre un sens sur un corps qui se remet à exister par une image et un schéma corporels en restauration, les soins venant alors s’intégrer eux – mêmes à ce processus pour le favoriser.

L’ensemble de ces propositions thérapeutiques pourrait être mis en place dans le cadre d’un Centre de Victimologie, qui permettrai d’une part de ne pas stigmatiser ces personnes (ce type de centre accueillant des victimes de tout genre de violences), de mettre en pratique les récentes avancées françaises incluant la prostitution comme une violence à l’encontre des femmes, et d’autre part de réunir dans un même lieu toutes les phases du processus de restauration psychique et physique spécifique à ce type de violence afin de ne pas mettre en péril la cohésion et donc la réussite de ce processus. Les professionnels intervenant dans ce cadre pourraient bénéficier d’une formation appropriée et spécifique à la prise en charge des personnes survivantes de la prostitution ; enfin, ce type de processus permettrai de compléter de façon indispensable les actions de réduction de risques existant déjà à l’heure actuelle, mais qui ne suffisent pas à prendre en charge les problèmes spécifiques liés à la situation prostitutionnelle. 1

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