SI NOUS PARLIONS D'AMOUR...
Marie-Jo BONNET
Article paru dans la revue TRIANGUL'ERE, n°1, Editions Christophe Gendron, 1999.
Le débat sur le PACS nous a montré au moins une chose, c'est l'incroyable pauvreté de notre réflexion sur l'amour. Aujourd'hui, nous sommes réduits à débattre pour ou contre le Pacs, pour ou contre l'union libre ou le mariage homosexuel. Mais aussi pour ou contre les P.M.A. (Procréation Médicalement Assistée), l'insémination artificielle ou l'adoption pour les homos. Dans la presse on nous parle du Viagra, du nombre d'orgasmes, de préférence sexuelle, de vie commune, de préservatifs et de pilules. Le monde paraît divisé en hétérosexuels et homosexuels qui aspirent à l'égalité "sexuelle", nous dit-on du côté des gays officialisés. Mais si tout le monde pense que l'amour a un sexe, il n'a, apparemment, plus pour chacun d'entre nous, ni corps, ni âme.
Mais comment parler d'amour à une époque qui a tout vu et tout entendu ? Nous ne disposons dans la langue française que d'un tout petit mot censé exprimer des émotions aussi différentes que l'amour d'une marque de voiture, d'une personne, d'une oeuvre d'art, de nos ancêtres et de nos descendants.
Les grecs disposaient de quatre mots pour parler de cette chose-là, et il n'est pas inutile de se confronter à une langue morte pour parler de la passion, du désir, et de ce qui, dans l'expérience amoureuse, nous fait mourir et renaître. Se détacher du passé et s'ouvrir à l'inconnu... Etre et devenir... Se quitter, espérer et aimer, encore et toujours.
Il y a d'abord le mot philia, généralement traduit par tendresse amoureuse, amitié et qui prendra le sens d'amour reconnu par les autres. Plutarque en fait la caractéristique de l'amour conjugal, car les femmes étaient vouées au tendre sentiment plus qu'à l'Eros, bien que Sappho ait utilisé souvent ce mot avec une connotation érotique quand elle parlait de son "lien d'amour" pour Atthis ou s'adressait à la déesse Aphrodite. La déesse représentera d'ailleurs l'amour conjugal, tandis qu'Eros personnifiera l'amour homosexuel masculin.
Le deuxième mot est bien sûr Eros, l'amour-désir, celui que nous utilisons encore aujourd'hui pour désigner l'amour sous son aspect "purement" charnel. Mais il y avait déjà deux Eros dans l'Antiquité, comme l'a si bien montré Jean-Pierre Vernant dans L'individu, la mort, l'amour. L'Eros primordial de la Théogonie d'Hésiode, le principe cosmique qui "rend manifeste la dualité, la multiplicité incluses dans l'unité". Et l'Eros séducteur, le fils d'Aphrodite qui pousse à unir deux êtres séparés par leur individualité et que leur sexe oppose. Eros est donc une pulsion, une énergie qui différencie en soi-même et qui nous unit à l'autre. Il y aurait beaucoup à dire sur cette importante vision philosophique d'Eros, car l'homosexualité est encore aujourd'hui condamnée sous prétexte qu'elle annule la différence (des sexes, des polarités, etc). Dans le dialogue du Phèdre, de Platon, toute la question est de savoir comment on définit l'amour. Si Eros est uniquement attaché au plaisir des sens, ou s'il recherche la beauté qui est d'essence divine et constitue pour Socrate le véritable amour. "Aimez-vous, et enfantez de beaux discours", dit-il à ses interlocuteurs, car le véritable amour, c'est l'amour de l'âme.
Le troisième mot est mania, folie d'amour, folle passion, délire. C'est un mot qui a la même racine que ménade, et qui désigne la démesure, l'hybris dont on accuse les femmes qui aiment trop et ne maîtrisent pas leurs pulsions. Les Bacchantes, dans Euripide, sont l'archétype même de la mania. Folles possédées par Dyonisos, elles refusent tout lien, et pour cette raison, sont si décriées par l'homme grec apollinien. Le "dérèglement" des sens était loin d'être magnifié. Car si la femme rejette tout lien, comment pourra-t-on la tenir dans les liens du mariage, sous le joug du couple, dans l'univers clos du gynécée ?
On s'aperçoit ainsi que le lien, qui crée l'attachement, ne renvoie pas à la même symbolique que la relation amoureuse, qui suppose la distance et la reconnaissance de l'autre comme sujet. Le lien crée la dépendance, la relation crée la liberté et l'échange.
Le dernier mot, enfin, est agape, l'affection, l'amour divin au sens chrétien. Il est utilisé plus tardivement et donnera agapes, repas fraternels des premiers chrétiens.
On le voit, parler d'amour, c'est à la fois identifier ce qui en soi est touché par l'autre, et définir sa place dans la Cité et le Cosmos. L'amour est l'énergie primordiale comme le disait si bien Dante : "Amour qui meut Phoébus et toutes les étoiles".
La mise en ligne a été effectuée par Le séminaire gai avec accord de l'auteur.
Copyright M.J. Bonnet © 2000
jeudi 29 novembre 2007
SI NOUS PARLIONS D'AMOUR... Marie-Jo BONNET
samedi 24 novembre 2007
Medhi met du rouge à lèvres ou comment vivre sa singulière différence
Medhi met du rouge à lèvres ou comment vivre sa singulière différence
Un ouvrage découvert lors d’une formation sous l’égide de l’association Le champ de lire à l’initiative d’un très beau projet aux dimensions internationales Poem Express qui sera l’objet d’une exposition de 150 "poèmes affiche", dont 15 d’entre eux partiront ensuite à l’étranger.
Les enfants et adolescents (de 6 à 14 ans) qui le souhaitent, peuvent également y participer par le biais d’une inscription individuelle.
Je vous offre cet extrait qui ne figure dans la présentation de l’éditeur dans son intégralité
Sa chanteuse préférée, c’est Oum Kalthoum.
La grande chanteuse égyptienne qui fait pleurer
Les Arabes à cause de l’amour. Elle est morte
depuis longtemps. Chaque nuit, elle revient dans
nos larmes et Medhi pleure, pleure tant contre sa
radio que le Nil Blanc et le Nil Bleu prennent leur
source sur ses deux joues.
David Dumortier, p.28
Éditions Cheyne, collection Poèmes pour grandir
Vous pouvez également vous référer à la note de lecture du site homoedu rédigée par Lionel Labosse, un site dont la pésence sur la toile du web est essentielle en matière de lutte contre l’homophobie et d’éducation à la tolérance.
sémaphore
Mehdi met du rouge à lèvres
David DUMORTIER
source : éditions Cheyne
Mehdi va à l’école avec du rouge à lèvres. Dès qu’il arrive, il file tous azimuts. On le poursuit, il saute la barrière des maternelles. Il revient, un point d’interrogation court derrière lui. Comme ça, il est impossible de lui poser des questions compliquées.
*
Chez ses parents, Mehdi a la responsabilité de la cheminée. Le soir, il jette une couverture de cendres sur les braises. C’est pas pour les rallumer plus vite le matin, ni pour économiser une allumette. C’est pour que le feu ait chaud, la nuit, sous une bonne épaisseur de gentillesse.
*
La corde à sauter, l’élastique, le tissage des scoubidous sur le banc le lassent. Parfois, Mehdi propose aux filles de s’ennuyer pour de faux. Chacun reste dans son coin en jouant la tristesse, on est dans ses pensées et il est interdit de parler, sinon on a perdu. Qu’est-ce qu’il ne faut pas inventer pour rêver tranquillement tout seul !
Des poèmes pour faire grandir les parents
« Un petit garçon s’habille en fille. Quand on le surprend, il rougit ; en attendant que l’enfance passe sur ses joues. Il s’appelle Mehdi. » Un garçonnet pas comme les autres. Jugez‑en : « En plus, il a des manières de fille. Elles sortent toutes seules. Elles lui échappent des mains. Il est trop tard quand il essaie de les rattraper. Mehdi ne peut pas refaire une même manière à l’envers et la remettre dans sa cage. » On imagine les questions qui fusent ; les normes qu’on lui renvoie, le peu, de cas qu’il en fait, lui qui préfère contempler les femmes que les footballeurs, sait que les pompiers font du bouche à bouche, raffole des coquelicots « qui fleurissent avec du sang », du rose bonbon et des marrons glacés, de la voix d’Oum Kalsoum aussi, « qui fait pleurer les Arabes à cause de l’amour », et joue à « s’ennuyer pour de faux » pour pouvoir « rêver tranquillement tout seul »... Éloge de la tolérance, du nécessaire écart pour que la vie soit riche : « C’est pas pareil depuis que Mehdi est là. Et quand, il n’est pas là, c’est pas pareil non plus. Pourvu qu’il reste pareil, pour que ce soit toujours pas pareil. » Troisième titre de Daniel Dumortier accueilli dans la merveilleuse collection des « Poèmes pour grandir », Mehdi met du rouge à lèvres ne choquera que ceux qui n’entendront pas la vraie raison de son maquillage (« pour que mes bises restent plus longtemps sur toi ») et s’effraieront de cette sérénité sans fard à en user chaque jour sauf pour Mardi Gras.
Recomposition familiale
Invité du Salon de Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme) début février, le poète a proposé aux collégiens ce texte sobre et beau, magnifiquement mis en images par Martine Mellinette, qui illustrait déjà son précédent recueil, Ces gens qui sont des arbres (2003), paru parallèlement à Une femme de ferme, couronné par le prix PoésYvelines 2004. La surprise bien sûr, mais l’écoute et bientôt l’adhésion, plus facile que pour les adultes, souvent rétifs à cette libre expression d’une évidence socialement réprouvée. On se souvient du débat, au sein de l’Ecole des loisirs, pour publier, en 1998, Je ne suis pas une fille à papa, de Christophe Honoré, où l’héroïne était élevée, par deux mamans. Si le roman fut finalement accueilli chez Thierry Magnier, on mesura la difficulté de faire admettre dans le secteur jeunesse les situations familiales inédites dont la société multipliait les exemples sans que l’édition assume d’en promouvoir la visibilité. Peut‑être simplement parce que les acheteurs sont des adultes, plus effrayés que leurs enfants. Ainsi se réjouit‑on du beau succès de Marius, de Latifa Alaoui et Stéphane Poulin à L’Atelier du poisson soluble (2001), où la recomposition farmiliale validait pareillement couples gay et hétéro. David Dumortier n’entend pas choquer. Juste être sincère puisqu’il a rencontré Mehdi et ne voit pas pourquoi biaiser avec le réel. Déjà La Clarisse (2000) avait donné le ton. L’histoire de cette fillette dont la curiosité ne néglige aucune exploration avait parfois heurté... les adultes, car aucun enfant n’avait hésité à se reconnaîtré dans cette envie d’être au monde qui ne s’embarrasse d’aucune bienséance. Est-ce parce qu’il est venu tard à la lecture, par la poésie’ essentiellement, alors qu’il préparait un CAP de cuisinier ? Quand il quitte les Charentes où il a grandi pour Paris, Dumortier devient infirmier en psychiatrie, travaille de nuit et prépare à l’Inalco un diplôme d’arabe classique qui le conduit en Syrie puis en Jordanie. Ces éléments biographiques disent son goût pour le mot au cœur de sa création, le souci de jouer des résonances de cet amateur de littératures à peine écrites d’Afrique ou d’ailleurs. Il cherche à en faire l’offrande aux jeunes qui les ignorent et qui n’auraient pas idée de s’en réclamer. Nulle visée didactique. Juste un envoi, une adresse pour que les mots s’envolent et se déposent sur les lèvres comme ces bises au rouge à lèvres qu’il ne faut pas essuyer si on veut en conserver la trace.
PH.-J. C., Le Monde, vendredi 10 mars 2006
Publié avec le concours du Conseil régional d’Auvergne Avec des images de Martine Mellinette E.O. 2006 / ISBN 978-2-84116-110-2 / 22 x 13 / 48 pages 13,50 €
David DUMORTIER Né en 1967 dans les Charentes. Habite Paris. Arabisant, a vécu en Syrie. A publié aux éditions de L’Arbre, L’Impatiente, Le Temps des cerises, Paris-Méditerranée et dans diverses revues, notamment Décharge, Digraphe, Gros-textes, Comme ça et autrement, Rétroviseur, Triage. En 2005 est paru Croquis de métro aux éditions Le Temps des cerises.
Toutes les œuvres de l’auteur chez Cheyne éditeur
Martine MELLINETTE Née en 1952 à Paris. Création de Cheyne avec Jean-François Manier en 1978. Dirige la collection Poèmes pour grandir. Expositions à Paris (Bibliothèque nationale, librairie-galerie Touzot), Grasse (Médiathèque municipale), Clermont-Ferrand (D.R.A.C. Auvergne), Villeurbanne (M.L.I.S.), New York (National Arts Club, Galerie Jadite).
mardi 20 novembre 2007
lundi 19 novembre 2007
Cinq textes d’Andrea Dworkin sur le pouvoir et la violence sexiste
Merci @ Dandi, alias Mauvaise Herbe pour cet article, l’édition des textes d’Andrea Dworkin traduits en français est une précieuse information, elle qui a eu tant de mal à se faire publier dans son propre pays, ayant eu recours à l’accueil de ses écrits dans une maison d’édition britannique.
Elle, dont les anti-féministe se servent du nom pour lui attribuer des propos qu’elle n’a jamais tenu et les brandissent outrageusement pour effaroucher le quidam....
Ainsi, dernièrement sur un plateau de télé dans une émission sur France 3, « Ce soir où jamais » pour la nommer,dont la thématique était dédié à la notion de genre avec pour titre : « Où sont passé les hommes ? » question on ne peut plus androcentrée, Pascal Bruckner invité, vous savez l’essayiste qui a soutenu la candidature de Sarkozy à ma plus grande stupéfaction, et bien celui-la même à continuer de me décevoir définitivement quand voulant fustiger les féministes radicales américaines, féministes radicales est à mon sens un pléonasme, non ?...et bien il a cité Andrea Dworkin lui attribuant ce « Toutes pénétrations est un viol » qu’elle n’a eu de cesse de démentir lire l’article et le plus effarant c’est que personne n’a réagi… Personne !
Pas même la féministe de service, Irène Théry éminente sociologue, invitée pour la promotion de son dernier ouvrage « La distinction des sexes », que je ne lirai pas !...
Personne n’aurait-il lu Andrea Dworkin ?..Andrea Dworkin n’est pas une castratrice, non ! Andrea Dworkin est une humaniste car être féministe qu’est-ce donc si ce n’est revendiquer le respect de chaque être quelque soit son sexe, son genre !
Et si je suis féministe ce n’est pas pour faire genre !
C’est pour dénoncer les idées reçues , les préjugées, ne pas me taire face aux « ah quoi bonistes », refuser le publisexisme, la prostitution, la pornographie, l’industrie du sexe, dénoncer ce mépris de l’Autre !
Faut-il que le discours féministe soit à ce point dérangeant, envers le système phallocrate régnant, pour qu’il soit à ce point trahit, pour qu’il soit perçu comme hystérique alors qu’il porte en lui les germes d’une humanité plus juste, d’une humanitude qui ne demande qu’à grandir enfin !
Pour reprendre Christine Delphy, extrait de son texte d’hommage In memoriam Andrea Dworkin ou la passion de la justice « quand une féministe est accusée d’exagérer, c’est qu’elle est sur la bonne voie » mais exagère-t-elle Andrea Dworkin ?...(Je pense que vous retiendrez au moins son nom !(- ;)
Lisez-la !
Andrea Dworkin sur la danse-contact (ou Lap-dance)
La pornographie et le désespoir
Et bien puisque nous sommes proche de la fin novembre je file voir ma librairie favorite, une libraire résistante dont j’aime le nom de surcroît « le grains des mots »(Montpellier, 34000), pour en réserver un exemplaire, illico(- ;
Sémaphore
Cinq textes d’Andrea Dworkin sur le pouvoir et la violence sexiste
by Sarah sur http://www.indymedia.be/en/node/23589
05/09/2007
Il y a une trentaine d’années, quand quelques individus isolés commençaient à dénoncer la pornographie comme instrument d’oppression des femmes, l’écrivaine américaine Andrea Dworkin, alors jeune féministe, avait déjà fait de la lutte à cette industrie et aux violences contre les femmes le combat de sa vie.
Elle avait commencé à élaborer une oeuvre politique et littéraire qui allait devenir l’oeuvre de déconstruction du pouvoir sans doute la plus lucide et la plus juste des études féministes nord-américaines. Andrea Dworkin s’affirmait déjà comme un phare éclairant un chemin alors presque désert - il y a 30 ans, on ne se faisait pas plus d’ami-e-s qu’aujourd’hui à dénoncer les industries du sexe dont les femmes et les enfants constituent la matière première à la disposition de certains hommes.
Peu d’écrits d’Andrea Dworkin ont été publiés en français. Cet automne, Les éditions Sisyphe (Montréal) proposent en traduction française, sous le titre Pouvoir et violence sexiste, cinq textes de cette penseuse féministe radicale sur des réalités que de nombreuses femmes vivent comme radicales. On trouve, notamment dans ce livre, la conférence qu’elle a donnée à Montréal, le 6 décembre 1990, pour commémorer l’anniversaire du massacre de l’École polytechnique ; un texte - monumental - qui dissèque minutieusement le pouvoir masculin et ses effets sur la vie des femmes, et aussi, une conférence sur la prostitution présentée à des étudiantes en droit d’une université américaine. Le premier chapitre, "Écrire", présente un extrait d’un roman et le livre se termine par une exhortation dont l’intitulé "Souvenez-vous, résistez, ne pliez pas" résumerait bien la vie d’Andrea Dworkin elle-même.
Pour "corriger les défauts du féminisme"
De la prostitution, Andrea Dworkin écrit : "Nous ne pouvons pas corriger les défauts de notre féminisme si nous sommes prêtes à accepter la prostitution des femmes. (...) Il est toujours extraordinaire, quand on regarde cet échange d’argent, de réaliser que dans l’esprit de la plupart des gens, l’argent vaut plus que la femme. (...) L’argent permet à l’homme d’acheter une vie humaine et d’effacer son importance de tous les aspects de la reconnaissance civique et sociale, de la conscience et de la société, des protections de la loi, de tout droit de citoyenneté, de tout concept de dignité humaine et de souveraineté humaine. Cinquante maudits dollars permettent à n’importe quel homme de faire cela. (...) Je veux vous dire que si ces hommes arrivent à faire ce qu’ils font, c’est à cause du pouvoir de la classe des hommes, un pouvoir qu’ils s’arrogent parce que les hommes utilisent la force contre les femmes. Si vous voulez une définition de ce qu’est un lâche, c’est avoir besoin de réprimer toute une classe de gens de façon à pouvoir leur marcher dessus. » (Dans le chapitre 4, "Prostitution et domination masculine").
Outre les problématiques du viol, de la violence conjugale, du harcèlement, de la pornographie, de la prostitution, Pouvoir et violence sexiste aborde globalement les violences psychologiques quotidiennes engendrées par la domination masculine qui détruit l’existence des femmes, entrave leur liberté de créer, de travailler, d’aimer, de vivre en sécurité. Les analyses sans compromis et le langage exempt d’euphémismes, parfois cru, de l’écrivaine Dworkin surprendront peut-être celles qui la liront pour la première fois. Mais cette lecture confortera dans leur action celles et ceux qui mènent une lutte persévérante et courageuse contre toutes les formes de violences, et elle leur donnera peut-être un éclairage nouveau pour comprendre les obstacles qu’ils rencontrent.
Dans le dernier chapitre de ce livre, la penseuse et militante féministe encourage les femmes à s’unir pour prendre la parole, résister, agir, se réapproprier leur vie. "Nous savons comment pleurer. La vraie question est : Comment allons-nous nous défendre ?", écrit-elle dans "Tuerie à Montréal. L’assassinat comme politique sexuelle" (chapitre 2), dont le site Sisyphe présente un court extrait.
Andrea Dworkin, Pouvoir et violence sexiste, Les éditions Sisyphe, Montréal, 2007, Coll. Contrepoint, 128 pages. Préface de Catharine A. MacKinnon. Traduction de l’américain et texte de présentation de Martin Dufresne. En librairie en novembre en Europe (Distribution Nouveau Monde/Librairie du Québec, Paris).
La pornographie et le désespoir
lu sur http://lezzone.over-blog.com
par Andrea Dworkin, écrivaine et féministe
À l’origine, cet article a été préparé pour le colloque "Perspectives féministes sur la pornographie" qui s’est tenu à San Francisco, en 1978. Une vision profonde du problème de la pornographie s’incarne dans ce discours prononcé juste avant le départ d’une manifestation ayant pour thème "Take Back the Night" [Reprenons la nuit].
Je cherchais quelque chose à dire ici aujourd’hui (1) de bien différent de ce que je vais dire. Je voulais arriver ici pleine de ferveur militante, fière et déchaînée de fureur. Mais de plus en plus, je sens que cette fureur n’est que l’ombre du désespoir qui monte en moi. Le fait d’apercevoir ici et là des petits bouts de pornographie déclenchera une fureur salutaire chez toute femme qui a un tant soit peu le sens de sa valeur intrinsèque. Mais quand on étudie la pornographie en profondeur et dans toute son ampleur, comme je le fais depuis plus longtemps que je ne voudrais m’en souvenir, c’est le désespoir qui nous envahit.
La pornographie est en soi abjecte. Ce serait mentir que de la caractériser autrement et le fléau des rationalisations et des sophismes mâles ne peut ni changer ni cacher ce simple fait. Georges Bataille, un philosophe de la pornographie (qu’il appelle "érotisme"), l’exprime très clairement : "Dans son essence, le domaine de l’érotisme est le domaine de la violence, de la violation (2)." M. Bataille, contrairement à tant de ses pairs, a la bonté de préciser explicitement qu’il s’agit bien, dans tout cela, de violer les femmes. Utilisant un langage fait d’euphémismes grandiloquents, très populaire parmi les intellectuels mâles qui écrivent sur la pornographie, Bataille nous explique que "[c’]est essentiellement la partie passive, féminine qui est dissoute en tant qu’être constitué (3)". Être "dissoutes" - par n’importe quel moyen - c’est là le rôle des femmes dans la pornographie. Les grands hommes de science et les philosophes de la sexualité, y compris Kinsey, Havelock Ellis, Wilhelm Reich et Freud, confirment tous cette conception de notre rôle et de notre destinée. Les grands écrivains mâles manient le langage avec plus ou moins de bonheur pour nous représenter en fragments autogratifiants, déjà à moitié "dissous", puis ils se mettent en frais de nous "dissoudre" complètement, par tous les moyens nécessaires. Les biographes de ces grands artistes mâles célèbrent les atrocités que ces hommes ont commises contre nous dans la vie réelle comme si elles étaient essentielles à la création artistique. Et dans l’histoire, telle que les hommes l’ont vécue, ils nous ont aussi "dissoutes" par tous les moyens nécessaires. Notre peau servie en tranches et nos os fracassés sont les sources énergétiques de l’art et de la science tels que définis par les hommes ; de même, ils sont le contenu essentiel de la pornographie. L’expérience viscérale d’une haine des femmes qui ne connaît littéralement aucune limite m’a amenée au-delà de la fureur et des larmes ; je ne peux vous parler qu’à partir de mon désespoir.
Toutes, nous pensions que le monde serait bien différent, n’est-ce pas ? Même si nous avions connu la misère matérielle ou émotive pendant l’enfance ou à l’âge adulte, même si nous avions compris, à travers l’histoire et les témoignages vivants, à quel point les gens souffrent et pourquoi, nous avons toutes cru, quelque part au fond de nous-mêmes, aux possibilités humaines. Certaines d’entre nous ont cru à l’art, d’autres à la littérature, à la musique, à la religion, à la révolution, aux enfants, au potentiel libérateur de l’érotisme ou à celui de la tendresse. Peu importe tout ce que nous savions de la cruauté, nous avons toutes cru à la bonté ; et peu importe tout ce que nous savions de la haine, nous avons toutes cru à l’amitié et à l’amour. Aucune d’entre nous n’aurait pu imaginer ou croire possibles ces simples faits quotidiens que nous avons maintenant appris à connaître : la rapacité du désir de domination des mâles, la méchanceté de la suprématie mâle et le virulent mépris pour les femmes qui est le fondement même de la culture dans laquelle nous vivons. Le mouvement de libération des femmes nous a toutes obligées à regarder ces faits bien en face et pourtant, aussi courageuses et éclairées que nous soyons et aussi loin que nous soyons prêtes à aller (ou forcées d’aller), dans une vision de la réalité qui exclurait le romantisme et l’illusion, nous restons encore atterrées devant la haine des mâles pour notre sexe, sa mordibité, sa compulsivité, son obsessivité, son autocélébration dans chaque détail de la vie et de la culture. Nous pensons avoir enfin compris cette haine une fois pour toutes,l’avoir vue dans toute sa spectaculaire cruauté, en avoir compris tous les secrets, nous y être habituées ou l’avoir dépassée ou encore nous être organisées contre elle de manière à nous protéger au moins de ses pires excès. Nous pensons savoir tout ce qu’il y a à savoir sur ce que les hommes font aux femmes, même s’il nous est impossible d’imaginer pourquoi, quand tout à coup quelque chose se produit qui nous affole, nous fait perdre la tête, de sorte que nous nous retrouvons à nouveau emprisonnées comme des animaux en cage dans la réalité paralysante du contrôle mâle, de la vengeance mâle contre on ne sait quoi, de la haine mâle pour notre existence même.
On peut tout savoir et pourtant être encore incapable de concevoir des choses comme les films snuff. On peut tout savoir et pourtant être encore choquée et terrifiée quand on apprend qu’un homme ayant tenté de fabriquer des films snuff est relâché, malgré le témoignage des femmes agents clandestins qu’il voulait torturer, assassiner et, évidemment, filmer. On peut tout savoir et pourtant rester stupéfiée et paralysée devant une enfant violée sans arrêt par son père ou par un autre mâle de la famille. On peut tout savoir et pourtant en être réduite à bredouiller comme une idiote quand une femme est poursuivie en justice pour avoir tenté de s’avorter avec des aiguilles à tricoter ou pour avoir tué l’homme qui l’avait violée, ou torturée, ou qui était en train de le faire. On peut tout savoir et pourtant avoir à la fois envie de tuer et de mourir à la vue d’une jubilante image de femme passée au hache-viande sur la couverture d’un magazine national, aussi corrompu que le magazine puisse être. On peut tout savoir et pourtant refuser encore, quelque part au fond de soi, de croire que la violence individuelle et sociale envers les femmes sanctionnée par la société soit illimitée, imprévisible, omniprésente, continuelle, impitoyable et d’un sadisme parfaitement désinvolte et bienheureux. On peut tout savoir et pourtant être incapable d’accepter le fait que la sexualité et le meurtre soient à ce point amalgamés dans la conscience mâle, que la première soit impossible et impensable sans la possibilité imminente de l’autre. On peut tout savoir et pourtant, au fond de soi, refuser encore d’accepter que l’anéantissement des femmes soit pour les hommes la source de leur pensée et de leur identification. On peut tout savoir et pourtant vouloir encore désespérément tout oublier parce que si l’on regarde en face tout ce que nous savons, on se demande si la vie vaut la peine d’être vécue.
Tous les pornographes, anciens et modernes, graphiques ou littéraires, vulgaires ou aristocratiques, mettent de l’avant la même affirmation : le plaisir érotique des hommes trouve son origine et son fondement dans la destruction sauvage des femmes. Le marquis de Sade (que les universitaires mâles appellent "le divin marquis"), le pornographe le plus honoré au monde a écrit dans un de ses moments de plus grande civilité et sobriété : "Je n’aurais jamais raté de femme si j’avais été bien sûr de la tuer après (4)." L’érotisation du meurtre est l’essence de la pornographie, comme elle est l’essence de la vie. Le tortionnaire peut être un policier en train d’arracher les ongles d’une victime dans une cellule de prison ou un homme soi-disant normal qui caresse le projet d’essayer de baiser une femme à mort. Pour les hommes, en fait, le processus du meurtre - les coups et le viol sont des étapes de ce processus - est l’acte sexuel fondamental en réalité et/ou en imagination. En tant que classe, les femmes doivent rester asservies, enchaînées à la volonté sexuelle des hommes parce que ceux-ci ont besoin, pour alimenter leur appétit et leur performance sexuelles, de cette reconnaissance de leur auguste droit de tuer, peu importe qu’ils l’exercent dans toute son ampleur ou seulement en partie. Sans Ies femmes comme victimes réelles ou potentielles, les hommes sont. comme on dit dans l’habituel jargon aseptisé, "sexuellement disfonctionnels". On retrouve cette même motivation parmi les homosexuels mâles chez qui le pouvoir et/ou les conventions désignent certains mâles comme femelles ou efféminés. La pléthore de cuir et de chaînes chez les homosexuels, et la nouvelle mode chez les gais adultes soi-disant progressistes de prendre la défense des réseaux organisés de prostitution de jeunes garçons, témoignent de l’immuabilité de cette compulsion des mâles à dominer et à détruire qui est la source même de leur plaisir sexuel.
L’aspect le plus terrible de la pornographie, c’est qu’elle révèle la vérité sur les mâles, et son aspect le plus pernicieux, c’est qu’elle impose cette vérité mâle comme si c’était la vérité universelle. Ces descriptions de femmes enchaînées que l’on torture sont censées représenter nos aspirations érotiques les plus profondes. Et quelques-unes d’entre nous le croient, n’est-ce pas ? L’aspect le plus important de la pornographie, c’est que les valeurs qui y sont charriées sont les valeurs partagées par tous les hommes. C’est là un fait capital que la droite comme la gauche mâles, de manières qui sont différentes mais qui se renforcent mutuellement, veulent dissimuler aux femmes. La droite mâle veut cacher la pornographie, la gauche veut cacher sa signification. Les deux veulent que la pornographie soit accessible afin que les hommes puissent y trouver réconfort et énergie. La droite veut un accès secret à la pornographie : la gauche, un accès public. Mais que la pornographie soit ou non visible, il n’en reste pas moins que les valeurs qu’elle véhicule sont les valeurs exprimées dans les actes de viol et dans le phénomène des femmes battues, dans le système juridique, dans la religion, dans l’art et la littérature, dans la discrimination économique systématique contre les femmes, dans les académies moribondes ; et par ceux que l’on dit bons, sages, généreux et éclairés dans tous ces domaines. La pornographie n’est pas une forme d’expression isolée et distincte du reste de la vie ; c’est une forme d’expression toujours parfaitement harmonisée à la culture au sein de laquelle elle s’épanouit. Et cela reste vrai, que la pornographie soit légale ou illégale. Dans un cas comme dans l’autre, la pornographie permet de perpétuer la suprématie mâle et les crimes de violence envers les femmes car elle conditionne, entraîne, éduque et incite les hommes à mépriser les femmes, à les utiliser et à leur faire mal. La pornographie existe parce que les hommes méprisent les femmes, et les hommes méprisent les femmes en partie parce que la pornographie existe.
Quant à moi, la pornographie me détruit comme jamais la vie n’a pu le faire, du moins jusqu’à maintenant. Quelles que soient les luttes et les difficultés que j’aie connues dans ma vie, j’ai toujours eu le désir de trouver un moyen de continuer même si je ne savais pas comment, pour vivre un jour de plus, apprendre une chose de plus, faire encore une promenade, lire encore un livre, écrire un autre paragraphe, voir encore un ami, aimer encore une fois. Quand je lis ou que je vois de la pornographie, je voudrais que tout s’arrête. Pourquoi, me dis-je, pourquoi sont-ils si diaboliquement cruels et si diaboliquement fiers de l’être ? Parfois, c’est un détail qui me rend folle. Je regarde, par exemple, une série de photographies : une femme se tranche les seins au couteau, se barbouille le corps de son propre sang, s’enfonce une épée dans le vagin. Et elle sourit. C’est ce sourire qui me rend folle. Ou bien j’aperçois une immense vitrine entièrement recouverte avec les pochettes d’un disque. L’image sur la pochette représente une vue de profil des cuisses d’une femme. Sa fourche est suggérée parce que nous savons qu’elle est là ; on ne la voit pas. Le titre du disque clame : Plug Me to Death [Enfonce-moi à mort]. Et c’est l’emploi de la première personne qui me rend folle. "Enfonce-moi à mort". Cette arrogance. Cette impitoyable arrogance. Comment cela peut-il continuer ainsi, ces images, ces idées et ces valeurs dénuées de tout sens, entièrement brutales, ineptes, se répandent jour après jour, année après année, emballées, achetées et vendues, publiées, persistantes ? Personne ne veut arrêter cela, nos chers intellectuels le défendent, d’élégants avocats progressistes plaident en sa faveur et des hommes de tous les milieux ne peuvent et ne veulent vivre sans cela. Et la vie, qui est tout pour moi, perd tout son sens car ces célébrations de la cruauté détruisent ma capacité même de sentir, d’aimer et d’espérer. Je hais les pornographes par-dessus tout parce qu’ils me privent de l’espoir.
La violence psychique dans la pornographie est en elle-même et par elle-même intolérable. Elle agit sur vous comme une matraque jusqu’à ce que votre sensibilité soit complètement écrasée et que votre cœur s’arrête de battre. On est paralysée.
Tout s’arrête. On regarde les pages ou les images et on sait : c’est cela que veulent les hommes, c’est cela qu’ils ont toujours eu et qu’ils refusent d’abandonner. Comme le faisait remarquer la lesbienne féministe Karla Jay dans un article intitulé "Pot, Porn, and the Politics of Pleasure" [Le "pot", la porno et la politique du plaisir], les hommes sont prêts à se passer de raisins, de laitue, de jus d’orange, de vin portugais et de thon (5), mais pas de pornographie. Et bien sûr, on voudrait la leur arracher, la brûler, la déchirer, y jeter des bombes et raser au sol leurs cinémas et leurs maisons de publication. On a le choix entre adhérer à un mouvement révolutionnaire et s’abandonner au désespoir. Peut-être ai-je trouvé la véritable source de mon désespoir : nous ne sommes pas encore devenues un mouvement révolutionnaire.
Ce soir, comme d’autres femmes l’ont fait dans des villes du monde entier, nous allons reprendre la nuit et marcher dans les rues toutes ensemble car, dans tous les sens du terme, aucune de nous ne peut marcher seule. Toute femme, qui marche seule devient une cible. Elle sera pourchassée, harcelée et souvent en butte à la violence psychique ou physique. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons marcher avec un peu de sécurité, de dignité et de liberté. En marchant ensemble ce soir, nous proclamerons à la face des violeurs et de ceux qui battent leur femme que leurs jours sont comptés et que notre heure est venue. Et demain, que ferons-nous demain ? Car, mes soeurs, en vérité c’est tous les soirs qu’il faut reprendre la nuit sinon, la nuit ne nous appartiendra jamais. Et quand nous aurons conquis la noirceur, il nous faudra revenir vers la lumière pour reconquérir aussi le jour et le faire nôtre. C’est là notre choix et notre obligation. C’est un choix révolutionnaire et une obligation révolutionnaire. Pour nous, les deux sont inséparables, comme nous devons être inséparables dans notre combat pour la liberté. Plusieurs d’entre nous ont déjà marché de nombreux kilomètres - des kilomètres courageux et difficiles - mais nous ne sommes pas encore rendues assez loin. Ce soir, à chaque pas et à chaque souffle, nous devons nous engager à aller jusqu’au bout : jusqu’à ce que nous ayons transformé cette terre que nous foulons, qui est pour le moment une prison et une tombe, en notre chez-nous joyeux et légitime. Nous devons le faire et nous le ferons, pour notre propre bien et pour celui de toutes les femmes, pour toujours.
[1]
Traduction : Monique Audy.
Extrait de : Laura Lederer, L’Envers de la nuit, Montréal, les éditions du remue-ménage, 1982.
*Source :http://lezzone.over-blog.com/article-6942064.html
[1] Notes
1. À l’origine, cet article a été préparé pour le colloque "Perspectives féministes sur la pornographie" qui s’est tenu à San Francisco, en 1978. Une vision profonde du problème de la pornographie s’incarne dans ce discours prononcé juste avant le départ d’une manifestation ayant pour thème "Take Back the Night" [reprenons la nuit]. Nous avions organisé cette marche pour bien montrer notre détermination à enrayer la vague de violence envers les femmes, qu’elle vienne des violeurs, de ceux qui battent leur femme ou des fabricants d’images dans les mass-médias. À la tombée de la nuit, 3000 manifestantes se sont rassemblées pour entendre "L’exhortation à la marche" d’Andrea Dworkin. Puis, nous nous sommes frayé un chemin jusqu’à Broadway, au milieu des touristes, des enseignes au néon annonçant les spectacles sexuels sur scène, les librairies "pour adultes seulement" et les cinémas pornographiques. En scandant des slogans comme : "Plus jamais de profits tirés du corps des femmes", nous avons envahi toute la rue, paralysé la circulation et occupé complètement un bout de Broadway sur une longueur de trois pâtés de maisons. Pour la première fois, et pendant une heure, Broadway n’appartenait plus aux aboyeurs devant les guichets, aux proxénètes ou aux pornographes, mais à des milliers de femmes, à leurs chants, à leurs voix, à leur colère et à leur vision. 2. Georges Bataille, L’érotisme, Paris, Union générale d’éditions, 10/18, 1970, p. 21. 3. Ibid., p. 22. 4. D.A.F. de Sade, Oeuvres complètes du marquis de Sade, Édition définitive, Cercle du livre précieux, 1966, tome 8, p. 391. 5. N.D.T. : Allusion aux boycottages de ces produits organisés par la gauche pour soutenir les luttes des travailleurs exploités par les producteurs.
Le Permis de Chasse par Bernard Noel
source : Arabesques
Imaginez que depuis l’au-delà de votre mort, vous regardiez votre assassin. Il s’avance vers vous, l’air arrogant et satisfait, puis lâche ces mots dans votre direction :
- Excusez-moi, je vous ai tué par erreur !
En vérité, il vous a tué du premier coup, mais comme il ne vous trouvait pas assez mort, il vous a mortellement frappé encore onze fois. Vous aviez beau être mort avec obstination, cela ne lui suffisait pas pour la raison qu’il désirait, à travers vous, exterminer tous vos semblables.
Il est dommage pour les bourreaux que leur victimes ne meurent qu’une seule fois : ils les tueraient de mieux en mieux tant qu’ils les ont sous la main. A défaut de ce raffinement, les bourreaux trouvent leur plaisir dans la récidive et dans la quantité. Ainsi, depuis qu’il est privé de son abattoir libanais, Monsieur Ehoud Olmert assassine chaque jour quelques palestiniens. En fait, cet exercice de chasse à l’homme est un sport qu’Israël pratique depuis longtemps, mais Monsieur Olmert l’a renouvelé en rendant son permis continu. Et il doit se proposer de faire mieux puisqu’il vient de nommer vice-premier ministre un certain Avigdor Lieberman, qui souhaite nettoyer la Palestine de tous les Arabes.
Pas de jours, depuis trois mois, sans que des femmes et des enfants palestiniens ne figurent au tableau de chasse, mais les hommes y sont assez rares. C’est qu’en Palestine, l’homme est moins commun que l’activiste, lequel de toute évidence n’a rien d’humain et doit être abattu. Qu’est-ce en effet qu’un « activiste » ? C’est un résistant qui n’accepte pas d’être occupé, d’être humilié, d’être affamé. Il a tort bien sûr de se révolter contre la condition que veulent pour lui des Elus à tous égards ses supérieurs.
Et puis, qu’on le sache une fois pour toutes, un mort est responsable de sa mort : tout autre point de vue est bêtise et superstition. La chose est d’ailleurs si évidente que pas un gouvernement occidental ne condamne le sport israélien ni son garde-chasse en chef. Après tout, le monde est accablé de misérables et en supprimer quelques-uns ne peut que le soulager. De plus, cette suppression exige l’expérimentation d’armes nouvelles, qui seront bénéfiques au marché du travail, tout comme de méthodes nouvelles de surveillance et de démoralisation.
Les opprimés sont coupables de l’être. La preuve : tous les media occidentaux parlent du chaos palestinien, de la guerre civile entre factions politiques rivales, d’une corruption endémique. Ils avaient reconnu que le Hamas accédait au pouvoir d’une manière très démocratique, mais un même mot d’ordre leur fait dire que le Hamas fait le malheur du peuple qui a voté pour lui. Pourquoi ? Parce qu’il est incapable de payer ses fonctionnaires et d’assurer le pain quotidien.
Pas un de ces media n’explique que si le gouvernement palestinien n’a plus un sou, c’est d’abord parce qu’Israël ne lui reverse pas sa part des droits de douane (plus de cinq cents millions de dollars lui sont dus) et tous trouvent normal que nos grandes démocraties aient suspendu leur aide en décrétant que la victoire démocratique du Hamas était intolérable. Il faudra bien qu’un jour ce peuple, qui parasite son propre territoire, comprenne qu’il est de trop chez lui et que l’esclavage est plus désirable que la résistance.
A moins qu’Israël ne préfère disposer d’une réserve dont il contrôle absolument les clôtures et qui, en connivence avec son Grand Allié, lui sert à sélectionner les diverses variétés de gibier humain, de la forte tête dont on fait des cibles, au pauvre indic qu’on achète pas cher. Où trouver un meilleur endroit pour entraîner les troupes au mépris de l’adversaire et des droits de l’homme ? Avouez qu’après soixante ans d’exodes, de camps et de tueries, si les Palestiniens s’entêtent à prétendre qu’ils sont les seuls habitants légitimes de leur pays, c’est qu’Israël entretient chez eux cette illusion afin d’exciter parmi ses citoyens une volonté de domination qui cimente leur unité. L’Arabe de Palestine est un épouvantail pratique pour maintenir Israël sur pied de guerre : sa chasse fournit un entraînement peu coûteux et sans grand danger.
Il n’y a pas une grande différence entre un bon chasseur et un bon tueur, sauf que le premier est muni d’un permis qui légalise ses actes tandis que le second peut toujours être désavoué par ceux-là même qui l’incitent à tuer. Il serait dans l’intérêt d’Israël, dont l’économie souffre de ses dépenses guerrières, d’organiser des battues d’activistes avec dégâts collatéraux mis secrètement aux enchères. Cela pourrait lui rapporter gros, le monde ne manquant pas de Républicains et d’Evangélistes prêts à payer fort cher pour avoir le permis de chasser au nom du Bien.
Bernard Noel
Résister, c’est vivre. - Philippe Val
ALORS, HYPOCRITE LECTEUR, mon semblable, mon frère, parlons-nous franchement. Le monde est cruel, barbare, injuste ? Ce n’est pas nouveau. Il a atteint des sommets dans l’horreur au XXème siècle ? C’est vrai. La course du monde est chaotique. Y a-t-il ou non progrès ? Allez savoir...
Du plus loin que l’on observe l’humanité, il y a toujours eu des collabos de la barbarie et des résistants de la civilisation. Regarde les collabos de la barbarie ce sont de tristes cons. Leur sourire est de circonstance. Leur lyrisme est mécanique. Regarde les affiches de Le Pen qui tapissent la France, en ce moment il ouvre les bras à tous les pauvres types, les aigris, les ratés, et, quand ils s’y seront réfugiés, il refermera les bras pour étouffer la liberté, et faire un inonde de crimes, de souffrances et de mort.
Avouons-le une bonne fois pour toutes, lutter, résister aux chasseurs, aux aficionados, aux fascistes, aux requins ultra-libéraux, aux crétins vulgaires de la télé, aux pollueurs, aux empoisonneurs, à la bêtise au front de taureau qui emperlait de sueur les tempes de Flaubert corrigeant, réécrivant rageusement chaque paragraphe de Bouvard et Pécuchet, avouons-le, dégommer les traditions imbéciles, les idées reçues, les coutumes assassines nous fait jouir. Donne un sens à notre vie.
Avouons le plaisir, la joie — et parfois le bonheur — que l’on a à affronter la bête. Observer la jubilation dans le trait d’un Cabu, d’un Willem, d’un Gébé. Dans les petites phrases méchantes de Charb. Constater une saloperie, et se retrousser les manches pour la dénoncer, lui nuire, la faire reculer, ça donne un sens à notre vie. Le sculpteur makondé dont je parlais la semaine dernière, l’écrivain, le chanteur, le poète, le dessinateur, le philosophe qui s’échinent à faire reculer la laideur, sont heureux de faire ce qu’ils font avec les armes non mortifères qu’ils ont choisies. Ils sont fiers de se battre avec des formes, des idées, des mots, des sons, quand d’autres en sont encore à recourir à la violence physique pour sortir du moindre de leurs dilemmes.
AVOUONS QU’ON NE SE SACRIFIE JAMAIS à une cause, à moins d’être un curé ou un imbécile. On tire une justification joyeuse de nos vies à tenter de mettre au monde quelque chose qui nous plaît à la place de quelque chose qui nous déplaît. Résister rend heureux. C’est la soumission à l’inacceptable qui est désespérante. Lutter contre le F.N. n’est pas une punition. C’est accepter le fascisme qui est mélancolique. Le fait qu’il existe n’est pas réjouissant, mais les ennemis de l’humanisme ont toujours existé sous des formes diverses. Tout ce qui se crée ou s’invente se fait contre une vieille vérité devenue mensonge, et ce n’est pas triste du tout.
Résister, c’est vivre.
C’est marrant. On s’y fait des amis de qualité. Une journée sans indignation, c’est comme un plat de nouilles trop cuites. Nos neurones ne nous enivrent qu’en fonctionnant. Leur engourdissement soumis nous tue. Enivrons-nous, comme nous exhorte à le faire Baudelaire. De vin, de vice et de vertu, à notre guise, mais toujours en résistant, en contredisant ce qui nous est présenté comme naturel et fatal. Sans attendre de reconnaissance pour le bien que l’on fait, qui n’est qu’une conséquence accidentelle du plaisir que l’on prend à satisfaire nos désirs. L’air sinistre que prennent ceux qui défendent les grandes causes est la preuve de leur hypocrisie curaillonne. La question de savoir si, alors, il faut dire « vive la misère et la souffrance qui nous permettent d’avoir la joie de lutter contre elles » n’est pas de mise. Pauvre paradoxe oiseux. De toute façon, la misère et la souffrance existent, et, en arrivant au monde, nous sommes condamnés à faire avec elles. La feuille blanche est une métaphore de nos vies. Surmonter la dépression qu’elle suscite en nous est un plaisir à savourer jusqu’à la dernière goutte sans chercher à faire croire qu’on s’est sacrifié sans contrepartie. Un philosophe qui ne rit jamais, c’est comme un facteur qui prétendrait distribuer le courrier sans jamais toucher de salaire. Il faut se méfier des philosophes qui ne rient jamais. Généralement, ils vivent plus longtemps que leurs disciples.
Philippe VAL
samedi 17 novembre 2007
Terre, planète bleue par Hubert Reeves
Terre, planète bleue
Terre, planète bleue, où des astronomes exaltés capturent la lumière des étoiles aux confins de l’espace.
Terre, planète bleue, où un cosmonaute, au hublot de sa navette, nomme les continents des géographies de son enfance.
Terre, planète bleue, où une asphodèle germe dans les entrailles d’un migrateur mort d’épuisement sur un rocher de haute mer.
Terre, planète bleue, où un dictateur fête Noël en famille alors que, par milliers, des corps brûlent dans les fours crématoires.
Terre, planète bleue, où, décroché avec fracas de la banquise polaire, un iceberg bleuté entreprend son long périple océanique.
Terre, planète bleue, où, dans une gare de banlieue, une famille attend un prisonnier politique séquestré depuis vingt ans.
Terre, planète bleue, où à chaque printemps le Soleil ramène les fleurs dans les sous-bois obscurs.
Terre, planète bleue, où seize familles ont accumulé plus de richesses que quarante huit pays démunis.
Terre, planète bleue, où un orphelin se jette du troisième étage pour échapper aux sévices des surveillants.
Terre, planète bleue, où, à la nuit tombée, un maçon contemple avec fierté le mur de briques élevé tout au long du jour.
Terre, planète bleue, où un maître de chapelle écrit les dernières notes d’une cantate qui enchantera le cœur des hommes pendant des siècles.
Terre, planète bleue, où une mère tient dans ses bras un enfant mort du sida transmis à son mari à la fête du village.
Terre, planète bleue, où un navigateur solitaire regarde son grand mât s’effondrer sous le choc des déferlantes.
Terre, planète bleue, où, sur un divan de psychanalyse, un homme reste muet.
Terre, planète bleue, où un chevreuil agonise dans un buisson, blessé par un chasseur qui ne l’a pas recherché.
Terre, planète bleue, où, vêtue de couleurs éclatantes, une femme choisit ses légumes verts sur les étals d’ un marché africain.
Terre, planète bleue, qui accomplit son quatre-milliard-cinq cent-cinquante-six-millionième tour autour d’un Soleil qui achève sa vingt-cinquième révolution autour de la Voie Lactée.
Hubert Reeves
Pour la fin des “oiselles” : La Parité commence par l’appellation des femmes
De la mauvaise herbe...
Lu sur Mauvaiseherbe’s Weblog...le nouvel espace de dandi... très bel espace dédié au féminisme, aurait-il pu en être autrement ?...
Vous y découvrirez aussi toute la sensibilité exacerbée de ses univers musicaux et iconographique qui ne pourront vous laissez indifférent/e.
Je ne saurai que trop vous inciter à lui rendre visite après avoir signé toutefois cette pétition, bien sur !
L’usage de ce terme « Mademoiselle » est bien une atteinte à la vie privée, c’est une telle évidence, son usage administratif si coutumier nous fait l'admettre et nous confine à l’intégration de cet assujettissement aux normes patriarcales dévalorisantes, infériorisations si bien admises qu’il nous faut combattre pour réinvestir notre statut de sujet à part entière.
Et je ne peux m’empêcher de me souvenir d’un titre de film, il s’agit de « Femmes de personne », être une femmes libre pourquoi est-ce si mal perçu ?...
Une femme pour être reconnue comme telle doit-elle se soumettre à la norme androcentrée , avoir mari et enfant(s), je vous pose la question ?
Sa réalisation passe-t-elle nécessairement par le mariage, l’enfantement, une sexualité admise socialement, une sexualité obligatoire.
Nous vivons dans une société du désherbant et des haies bien taillées et nous en voyons les effets pernicieux à tous les niveaux…
Aussi soyez de cette herbe que l’on dit mauvaise !...
Soyez rebel/le !
Revendiquez votre droit à l’insurrection !
sémaphore
Signer la pétition :
http://www.lapetition.com/sign1.cfm?numero=1099
Information aux signataires :
le panneau “N’oubliez pas d’appeler…. ” qui s’affiche après votre clic sur “SIGNER” n’est aucunement obligatoire pour l’enregistrement de la signature, qui est GRATUIT.
Pour la fin des “oiselles” : La Parité commence par l’appellation des femmes
jeudi 6 avril 2006
par Mathilde sur http://www.chiennesdegarde.org/…
Agissez avec nous : Merci de signer notre pétition (voir au bas de l’article) aux Parlementaires et à la Ministre de la cohésion sociale pour l’abrogation du terme « Mademoiselle » et de la rubrique « Nom de jeune fille », discriminatoires et contraires au droit français
Dirigeante de mon entreprise, femme et célibataire, j’ai été étonnée, au moment de signer la promesse de vente de mon prochain appartement dans une étude notariale réputée de Paris, que le notaire m’impose à-priori de signer l’acte sous “Mademoiselle Nom de naissance” , alors que je suis connue depuis des années sous l’intitulé “Madame Nom de naissance”. Lors de cet achat, devant contracter un emprunt, j’ai également eu la surprise de voir l’agent bancaire, un homme jeune ( 25 ans au plus), s’entêter à m’appeler “Mademoiselle” après avoir eu connaissance de ma déclaration d’impôts, alors que je lui avais bien signifié que ce n’était pas l’appellation que je souhaitais avoir.
Ayant collecté les informations existant à ce propos (circulaires de la Fonction Publique FP 900 et FP1172, qui reconnaissent le droit à l’appellation “Madame” aux “mères célibataires”- et non aux “femmes célibataires” - réponse ministérielle 5128 du 3 mars 1983 JO Sénat du 14 avril 1983 - plus complète mais sans valeur de texte applicatif, j’ai bien eu confirmation que l’usage “Mademoiselle” n’était fondé sur aucun texte législatif, et qu’une femme, quel que soit son âge ou son statut - mariée, célibataire, mère ou sans enfant- peut, de son plein droit, se faire appeler “Madame Nom de naissance”.
Ce thème m’interpellant, et m’étonnant que l’usage Mademoiselle persiste, malgré la réponse ministérielle- qui date de plus de 20 ans -, j’ai discuté à ce propos avec d’autres femmes célibataires. Certaines apprécient de se faire appeler Mademoiselle, qui les renvoie à leur valeur de “fraîcheur consommable” et leur confirme qu’elles sont encore désirables ou encore fertiles, sans se rendre compte qu’elles perpétuent ainsi la soumission aux valeurs machistes : la femme désignée dans sa valeur d’objet , objet “sexuel” ou “ventre porteur”.
D’autres auraient le sentiment, avec l’intitulé « Madame », d’usurper le nom de leur mère (mariée) - ce qui n’est pas un problème pour les hommes et le nom de leur père (marié). Il faut donc en conclure que l’usage a créé une tradition qui profite au sexisme et à la discrimination des femmes, puisque l’usage du Mademoiselle signifie que l’on confère une valeur différente à la femme, selon qu’elle est ou pas mariée et/ou mère, valeur qui s’exprime par un diminutif : “oiselle” (désigne une « jeune fille niaise » dans le dictionnaire Robert).
D’ailleurs, “mademoiselle” était utilisé dans les films des années soixante pour désigner les vendeuses ou les bonnes, mêmes mariées, ou bien les secrétaires (aujourd’hui encore).
Comment se fait-il que tant de personnes - femmes et hommes confondus - ignorent en 2006 :
- que l’identité, en droit français, est fondée uniquement par le nom de naissance (nom patronymique) et le prénom ;
- qu’existe le droit pour tous de demander à porter en plus un « nom d’usage » réunissant le nom du père et de la mère ; ce qui permettrait aux jeunes « filles » qui le souhaitent de se différencier de leur mère, avec l’intitulé “Madame” - au fait, on devrait dire « jeunes femmes », car parle-t-on de jeune « fils » ? il est vrai que le féminin de « garçon », la « garce », ni « fille de » ses parents, ni « femme de » l’homme, a de quoi rebuter ;
- pour les personnes qui se marient (hommes et femmes indifféremment), la possibilité - mais en aucun cas l’obligation légale - d’adjoindre le nom de leur conjoint(e) à leur nom de naissance. (JO n° 153 du 3/07/1986, pp 8245 à 8247)
Quant à l’usage du « mademoiselle »,qui date de l’époque médiévale, il ferait sourire si on le rendait symétrique : appeler “Mon Damoiseau” un homme célibataire …
Le choix Madame/Mademoiselle implique qu’une femme donne des indications sur son état de disponibilité, en particulier sexuelle…et la boîte aux lettres n’a pas vocation d’agence matrimoniale…
Conclusion :
- Nom patronymique , nom d’usage, voilà les deux seules rubriques pertinentes pour les formulaires administratifs, au lieu de “Nom”/ “Nom de jeune fille”
- Madame, Monsieur, pour désigner le sexe.
Un point c’est tout, pour être conforme au droit français
On s’étonne que si peu de femmes parviennent à des postes de pouvoir, mais l’aptitude au pouvoir s’apprend dès les premières années de la vie, et le terme “mademoiselle” traduit un regard « diminutif » sur nos filles, qui fait d’elles de « petites choses « pas finies, jamais vraiment autonomes, qui n’accèderont à leur état d’adulte que lorsqu’elles “trouveront un mari” ou “seront mères d’un enfant”. Comment voulez vous qu’elles n’intègrent pas la soumission à leur rôle d’épouse ou de mère comme une donnée normale et nécessaire ?
Peut-être trouverez vous que c’est une question de détail, de vocabulaire, mais c’est aux mots utilisés que l’on reconnaît l’esprit d’un groupe social : la tolérance du “mademoiselle” n’est pas cohérente avec la volonté affichée d’une parité professionnelle hommes/femmes.
Alors, à quand le texte applicatif publié au J.O pour l’abolition du “Mademoiselle” et son corollaire, “Nom de jeune fille”, dans les imprimés administratifs ? Les USA et la Grande-Bretagne nous ont devancé sur ce terrain.
Animaux « nuisibles » et « mauvaises » herbes par Hubert Reeves
@ Dandi...alias Mauvaise herbe...
De l’éducation à la biodiversité...contre l’étroitesse d’esprit et la pensée unique !
Herbe sauvage, va ! (- ;
sémaphore
Animaux « nuisibles » et « mauvaises » herbes
par Hubert Reeves
Émission du 3 janvier 2004, in chroniques sur France culture
L’emploi des mots, les psychologues nous le répètent depuis longtemps, influencent nos prises de position et notre comportement. Il y a des expressions qu’il importerait d’extraire de notre vocabulaire, à cause de leurs connotations négatives injustifiées.
Dans un contexte écologique, je veux évoquer ici les expressions « mauvaises herbes » et « animaux nuisibles ». Ce sont, bien sûr, de vieilles expressions, nées dans des contextes aujourd’hui dépassés. Leur utilisation prolonge un état d’esprit que nous avons toutes raisons de vouloir faire disparaître, à cause des implications négatives nocives qu’ils perpétuent.
Les vivants existent de leur plein droit, et n’ont pas à se justifier d’exister. Les mots « espèces nuisibles » et « mauvaises herbes » ne sont que le reflet d’un préjugé séculairement ancré, selon lequel les plantes et les animaux sont là pour nous servir ou nous réjouir, et que nous avons sur eux un droit discrétionnaire. Ces mots sont la traduction directe de notre égocentrisme (ou anthropocentrisme), de notre ignorance et de notre étroitesse d’esprit. Les animaux considérés comme nuisibles ne le sont que par nous , et il en est de même des herbes prétendues mauvaises.
En réalité, nous ne sommes qu’une espèce parmi tant d’autres. Ajoutons, en passant, que, face aux extinctions multipliées d’espèces dont nous sommes aujourd’hui responsables, nous mériterions, seuls, le qualificatif d’espèce hautement nuisible à l’harmonie et à la préservation de la biodiversité.
Les études scientifiques des dernières décennies ont profondément transformé notre regard sur la nature et sur les organismes vivants qui cœxistent avec nous. Sur notre planète, toutes les espèces vivantes sont intégrées dans des écosystèmes dont elles sont toutes dépendantes, et dans lesquelles elles jouent un rôle spécifique. Les populations sont maintenues en équilibre par un jeu permanent de reproduction et de prédation.
Quelles sont les implications de ces réflexions dans le monde concret dans lequel nous vivons ?
La prolifération de certaines espèces peut devenir indésirable par rapport aux objectifs des êtres humains : cultures, élevages, préservation de l’habitation et du territoire. Souvent ces proliférations sont dues à l’élimination, par notre zèle intempestif, des prédateurs naturels qui contribuaient à l’équilibre des populations.
C’est ici que l’attitude globale face à la nature doit intervenir. Elle imposera ses exigences sur le choix de l’action à entreprendre. Une intervention peut-être justifiée, à la condition qu’une étude scientifique appropriée ait désigné sans ambiguïté l’espèce ou les espèces responsables du problème.
De même, il importe de s’assurer que la nature de l’intervention ne va pas causer de nouveaux problèmes. En ce sens, l’utilisation de poisons est particulièrement déconseillée à cause de l’impact de ces produits sur d’autres organismes non visés, et par la pollution chimique qu’elle entraîne. Les appâts toxiques déposés dans les étangs pour combattre les ragondins ou les anti-coagulants destinés aux campagnols, mais tuant des rapaces, en sont de regrettables illustrations.
Mais revenons à notre question de vocabulaire. Que suggérer pour remplacer ces expressions ?
Au lieu de « mauvaises herbes », on peut dire par exemple « herbes sauvages ». Dans notre jardin, nous utilisons « plantes non invitées ». Et l’on peut remplacer « animaux nuisibles » par « animaux indésirés ».
Chacun ici peut faire preuve d’imagination. Toutes les suggestions sont bienvenues …
Cette importance donnée au vocabulaire n’est pas, soulignons-le, injustifiée, loin de là. C’est tout notre rapport à la nature qui est en jeu. Et dans le contexte de la crise planétaire que nous traversons, une modification profonde de ce rapport devient une nécessité fondamentale.
vendredi 16 novembre 2007
« La littérature suspend la mort »
« La littérature suspend la mort »
Entretien avec Hélène Cixous
Propos recueillis par René de Ceccatty
Article paru dans l’édition du 16.12.05 .Journal Le Monde
Trois publications portent le nom de l’écrivain et dramaturge : le récit d’une passion, un album de portraits par la photographe américaine Roni Horn et une présentation critique et biographique
> Pouvez-vous parler de l’intime, de cette circulation qu’il y a, dans vos textes récents et dans « L’Amour même dans la boîte aux lettres » en particulier, entre le familier, le familial, le confidentiel et une réflexion, disons, plus publique ?
Rien de plus intime, dira-t-on, que l’amour, là où l’on fait l’amour. Mais que fait-on avec l’amour, en tant qu’être humain et animal ? C’est une question de vie ou de mort, bien sûr, mais c’est une question universelle, la première. C’est elle qui subvertit, qui hante toutes les scènes dans lesquelles nous nous déplaçons, toutes celles qui semblent être professionnelles, extérieures, « extimes », politiques, etc. Pour moi, il s’agit toujours de mise en question de l’amour. L’amour à son tour met en question les scènes à rôles, où nous tenons des rôles, où nous avons des fonctions, où, pourrais-je presque dire, l’amour se heurterait à deux espèces d’incarnation d’inimitié : d’une part, son contraire, la haine, l’hostilité, la guerre et, d’autre part, ce qui fait limite à tout - sans que moi-même, à titre personnel, je veuille accepter que cette limite soit - et qui est la mort. L’amour s’avance comme une sorte de fleuve vital, côtoyé par les puissances hostiles à l’amour et par les puissances avec lesquelles nous pouvons entretenir une sorte d’infini dialogue. Ce que je souhaiterais appeler amour, c’est un renoncement à la réquisition d’un moi voulant exercer un pouvoir sur l’autre, un renoncement qui accepterait, sans s’incliner, donc de bon cœur, de se livrer, d’ouvrir, de donner lieu à l’autre en le respectant, et c’est ça, l’amour même. Un amour qui comprend qu’il s’agit de se rendre, au sens de partir, de s’envoler, mais aussi de rendre les armes, puisque, hélas, tout est toujours mesuré à la guerre.
> Dans ce texte, qui n’est pas chronologique, puisque vous racontez l’histoire à rebours, vous fournissez des dates qui remontent à quarante ans plus tôt. Comment votre mémoire s’organise-t-elle quand vous décidez de raconter un événement en rapport à d’autres événements de votre passé ?
Je suis tout à fait consciente que, quand j’inscris quelque chose dans une temporalité, il s’agit d’une temporalité autobiographique. J’exclus totalement ce qui serait de l’ordre du roman historique. Je ne peux pas. Je pourrais le faire de façon métaphorique ou en prenant un passage d’une œuvre littéraire du passé qui aurait une dimension contemporaine. Mais je ne peux pas alimenter ainsi un texte, sauf à puiser dans ma mémoire, dans mon expérience personnelle qui a mon âge, si je puis dire, plus ce qui m’a été rapporté par la génération précédente, c’est-à-dire, ma mère. Ma mère me « raconte » tellement que, quand j’étais petite, j’avais le sentiment d’avoir une double enfance ! Je n’ai jamais su si c’était mon enfance ou celle de ma mère. Je revivais, en un conte de fées réel, l’enfance de ma mère comme la mienne. Cela m’a permis de remonter comme témoin jusqu’au début du XXe siècle, en pouvant me reporter historiquement à la façon dont un sujet aura vécu la première guerre mondiale, la transformation complète de l’Europe, la disparition d’empires (à travers ma grand-mère). J’ai besoin de ça. Autrement, je fabriquerais et je n’aurais pas les éléments concrets dont j’ai besoin pour étayer mes textes, exactement comme pour le théâtre. Ce que je garde vivant n’a presque pas d’âge.
> Paradoxalement, dans votre cas, l’oralité a une importance très grande, professionnellement - vous enseignez, vous commentez oralement ce que vous vivez et ce que vous lisez, vous écrivez des pièces pour le Théâtre du Soleil - et familialement, d’une manière exceptionnelle chez un écrivain. Et pourtant votre œuvre est un hymne d’amour à l’écrit.
Cela pourrait passer pour un paradoxe, mais ça ne l’est pas. Quand je donne la parole à d’autres ou (insuffisamment à mon goût, mais je ne peux pas faire plus) à ma mère, mon bonheur (il ne s’agit pas seulement d’un bonheur terrestre) est de m’appliquer à entendre le secret des langues. Chacun d’entre nous parle en français et, à l’intérieur du français, dans son propre idiome. Pour les auteurs reconnus comme des maîtres de la langue, on forge des adjectifs, comme rimbaldien, balzacien, proustien, mais pour les êtres humains en général, on ne va pas jusque-là. Pourtant beaucoup d’entre nous ont un idiome et j’y suis très sensible. Cet idiome est à la fois vocalisé, musicalisé et aussi sémantique : chaque personne un peu riche dans l’âme a son vaste jardin de mots, de phonétique aussi. De temps à autre, j’entends quelque chose dans la langue de l’autre, dans l’idiolecte, je perçois cette qualité poétique. Ce n’est pas toujours facile. C’était facile avec Derrida et vice versa. Lorsque nous parlions, j’entendais le « poétique philosophique ». Je le relevais. Nous jouions à ça.
>Votre œuvre est parcourue d’événements très violents. Est-ce que vous vous êtes posé la question : y aurait-il un événement si violent qu’il empêche l’écriture et la vie ?
Si, bien sûr que j’y pense. Mais je crois que ce qui paralyserait l’écriture, ce ne pourrait être que le ligotage, l’arrêt du sujet à l’intérieur du sujet. Cela peut arriver quand on est atteint dans ses forces vives. Et je me dis très humblement que c’est la maladie, la vraie maladie, celle du corps, qui introduit un étranger ennemi et méconnaissable, qui peut dérober, étrangler la force vitale de l’écriture. Moi, je peux en porter le témoignage malheureux. Lorsqu’il y a cette interruption, l’écriture est mise en souffrance. Mais si la maladie est levée, comme on lève un écrou, l’écriture reprend. Je ne parle pas des moments d’impuissance, liés à une détresse psychique, à une dépression. Car il y a des situations où l’on ne peut pas écrire : la déportation, tout ce qui est « déportation du moi ». Dès qu’il y a activité, il y a possibilité d’écrire. C’est une réponse à la violence. Dans les camps mêmes. L’exercice de la littérature ne rend pas heureux, mais elle suspend la mort, tant qu’elle se manifeste. C’est ce que Blanchot appelait l’ « arrêt de mort ». Elle arrête la mort par la vie. De même, lorsque l’on rêve, toute douleur est suspendue. Elle vous attend. De même, lorsque l’on se réveille de la littérature, la douleur vous attend.
> Vous êtes-vous posé ces deux questions : est-ce que j’ai la capacité d’écrire ce que je veux écrire et est-ce que j’ai le droit d’écrire ce que j’écris ?
Oui, tout le temps. Le droit, tout le temps. C’est un débat intérieur et explicité. Je ne peux que plaider littérature, fiction. C’est au-delà du droit, si c’est fiction. Cela se passe au-delà de toutes les assignations à dire la vérité. Ce qui est vérité-mensonge est déplacé par la littérature. La littérature, c’est le déplacement même. Ce n’est ni vrai ni faux. Personne ne pourra le prouver. La littérature n’est pas appelée à rendre des comptes. Je fais constamment l’épreuve d’avoir un besoin et un désir d’avouer. Je voudrais avouer certaines choses, en suivant ce que j’ai découvert avec émerveillement quand j’étais petite, en lisant Dostoïevski. Si on pouvait avouer ses crimes ! On s’aperçoit que la littérature est piégée. Même dans la littérature de confession, l’inavouable est infini. On ne peut pas déposer l’inavouable dans un livre. C’est la grande illusion. Quand on a pratiqué suffisamment la littérature, on le sait. On pourra avouer tout ce qu’on voudra, l’inavouable demeure inavoué.
> Vous avez une pensée politique qui s’exprime en dehors de vos livres. Et là, la ligne de démarcation entre le bien et le mal ne peut pas être flottante. Mais elle n’est pas nette.
On peut, en croyant faire du bien, faire du mal. En ce qui concerne la scène politique, finalement je sens que je ne suis d’aucun parti. Je suis du parti de l’écriture. Je ne peux pas imaginer adhérer à un dogme, ça me fait horreur. C’est la sphère des rapports de forces. Mais si je n’ai pas de parti, j’ai des principes, très simples. Faire le moins de mal possible et le moins mal possible, aussi bien en littérature que dans la société, dans l’espace citoyen. Je n’ai qu’une ligne à suivre, mais elle est très difficile à suivre. C’est pourquoi je suis très mal à l’aise dans l’action, parce qu’il faut toujours trancher entre oui et non. Toujours dans des situations binaires. En politique, c’est toujours cela. Même chose dans la sexualité. Quand je remplis mon visa pour les Etats-Unis, on me demande : mâle ou femelle ? Et zut à la fin ! Heureusement qu’en anglais le mot female contient le mot male, il y a les deux en même temps. Ça va, je veux bien écrire female. Je détesterais écrire male, parce qu’il y aurait la moitié en moins. Disons que, chaque fois que ça se dichotomise de cette manière, je suis épouvantée. Comme lorsque je dois voter. Le mot élection est un mot trompeur, parce que justement on n’« élit » jamais. On choisit entre deux possibilités, ce qui n’a rien à voir avec l’élection qui devrait être de choisir entre d’innombrables possibilités. C’est une obligation de mentir, qui est une obligation citoyenne. Ce n’est pas de l’hypocrisie. Je me vois faire et je me dis que je ne peux pas faire autrement, parce que je ne veux pas m’abstenir. Ce sont les apories de la vie citoyenne. Je n’ai jamais cela en littérature. Il n’y a pas de « binarisme ». A cette question qui hante tous mes textes : « Sommes-nous dehors, sommes-nous dedans ? », je ne veux pas répondre.
> Comment voyez-vous la menace de la folie qui vous a visitée ?
Je me dépêche de fuir quand je la revois : il n’y a rien de plus terrifiant. Folie et terreur, c’est la même chose. C’est comme si je perdais de vue la raison de la vie. Pourquoi vivre ? La vie apparaît alors comme sur le pas de la mort. C’est une tentation qui se produit quand la mort, dans ce combat incessant avec l’ange, a raison de la vie. On laisse alors tomber les clés de la vie. C’est une chute, terrifiante. C’est une cavité qui se creuse dans le moi, mais qui, en général, est causée par un accident. Je ne parle pas des folies qui condamnent à l’asile, qu’on ne peut pas diagnostiquer ni soigner, puisqu’on ne sait pas quelle est la part chimique, biologique. Je parle ici de ce qui peut nous frôler et qui peut se résoudre sous des formes atténuées, comme des névroses. Je m’abandonne, moi abandonne je. Franchement, je ne tiens pas du tout à séjourner dans ces parages-là ! Mais, quand ça vous tombe dessus, on perd les commandes. En général, je ne crois pas avoir moi-même les clés. Il m’arrive de les confier à d’autres, comme dans l’amour. Ou dans la mort de l’autre.
Untitled from Anatomy lesson, Roni Horn
nb : Je vous invite à découvrir l’oeuvre de cette photographe américaine, Roni Horn, et tout particulièrement ses "dessins-photographiques", comme elle les nomme elle-même, autour de la figure emblématique du clown.
Sémaphore
L’écriture et l’identité féminine
L’écriture et l’identité féminine
Michèle Bolli
source : écriture et identité féminine
"... ton prochain comme toi-même ".
Comment s’aimer soi-même - incontournable condition pour parvenir à un altruisme sain - si les images du féminin présentes dans les lieux quotidiens sont largement dévalorisantes, pour ne pas dire méprisantes ? Question que se posent nombre de femmes placées dans de telles circonstances aujourd’hui.
Prenez leur rapport à la langue : elles y font doublement l’expérience de leur infériorité, de leur discrimination, d’un côté, par la manière dont on leur apprend à l’utiliser, et de l’autre, par la façon dont l’usage courant du langage traite de leur genre. Ces deux aspects ont tendance à reléguer les femmes dans des fonctions de subalternes. Ils lui enseignent lentement que sa place n’est pas celle d’un sujet à part entière
( R. Darcy, Le féminin ambigu, Le Concept Moderne, Genève,1989 ).
Pourtant, des femmes sont parvenues à utiliser à leur avantage cet instrument, la langue. Elles ont retourné cette épée contre leurs détracteurs. Et plus encore, elles ont tenté de produire en son sein, un espace - l’écriture - qui signifie leur beauté, leurs savoirs, leurs images ; en un mot leur point de vue sur le monde. Elles vivent d’une pratique de sujet. Ou faudrait-il plutôt dire, avec certaines d’entre elles, de sujette ? Approchons-nous des habitantes de l’écriture et cherchons à saisir quelques facettes de leur position.
Des femmes s’approprient l’écriture
Le point de vue de l’être-au-monde féminin s’inscrit dans des formes d’écriture qui, telles des veines nourricières, parcourent le grand corps produit par les écrivains d’une société donnée. Repérons-en quelques-unes. La poésie consiste à créer des images visuelles et sonores - à tendre la toile arachnéenne sur laquelle apparaissent des images anciennes - des images en pleine transformation, Ophélie, par exemple, y apparaît tombant dans l’eau, mais aujourd’hui, elle ne s’y noie plus ; elle devient nageuse et sait émerger de cet élément qui l’avait tout d’abord rendue absence, absorbée et abolie.
Enfin, on y voit s’esquisser des images toutes neuves qu’il faut aller y découvrir. La littérature fournit des histoires de vie, des récits qui mettent aux prises des héroïnes avec toutes sortes de situations et donnent à voir la manière dont y naît la conscience des femmes. La philosophie cherche à élaborer les formes d’un "penser au féminin". De là s’est découvert un genre mixte - la fiction/théorie - dans laquelle imaginer et comprendre ne s’excluent pas, mais s’entraident.
Elles vivent leur spécificité dans le mouvement du venir à l’écriture
Laisser naître de soi une écriture conduit les écrivaines à entrer dans une activité de production d’images, de représentations, de formes littéraires et philosophiques qui servent deux importantes perspectives.
Premièrement, après avoir développé une critique de leur situation, elles font un pas hors de la position de victime (dans laquelle se complaît trop souvent encore une certaine forme de féministe) et commencent une appropriation, de soi et de l’outil que constitue la langue, par l’usage personnel qu’elles font des mots.
Produire un texte c’est aujourd’hui le signer - c’est donc assumer son identité par son nom et se placer symboliquement parmi ceux qui en portent un - c’est-à-dire se considérer comme une personne - issue d’une histoire familiale - d’un réseau d’alliance ; et, qui a, elle aussi, à développer le mouvement de sa propre histoire. C’est être amenée à prendre la mesure de sa propre liberté en la déployant ici par l’écrit.
Ecrire oblige encore, celle qui pratique cet art, à se représenter non seulement son nom mais encore son genre - femme particulière parmi d’autres femmes et en communication avec un ou des hommes, humains appartenant à l’autre genre. C’est donc assumer sa différence, d’une part, au sein du groupe des mêmes et, d’autre part, dans les échanges avec le groupe différent. Est ainsi produit un lieu, l’écrit, dans lequel peut se lire un jeu de miroir pour celle qui écrit et parvient à y reconnaître certaines facettes de sa personne en positif ou en négatif, sous une forme imagée ou abstraite. Ce faisant elle parvient souvent à parfaire la connaissance qu’elle a d’elle-même et de ce que peut signifier ’ être une femme’ dans le milieu socioculturel dans lequel elle vit.
Ecrire, enfin, invite à s’assumer une et plurielle. A laisser se former dans l’écriture des traces qui se fraient un chemin du lointain de son histoire, du temps où la petite fille était reine : humour - images-souvenirs - rapport aux adultes. C’est les laisser se mouvoir en ce vivier - le texte - y côtoyer les expressions et les formes issues de la fonction de mère et de partenaire d’un homme, membre d’une société donnée à un moment précis de l’histoire humaine. Femme est le nom de cet ensemble chatoyant, multiple, fait de contrées froides ou désertiques ou encore luxuriantes, chaleureuses, rassemblées sous un nom unique duquel est envoyée une parole portée par le désir de communiquer avec autrui.
La capacité de reconnaître la particularité et la spécificité de son point de vue sur le monde se développe plus facilement si la femme peut confronter ce dernier à celui des autres. Il faudra donc, une fois ce dernier constitué, le confronter, le mesurer, l’agrandir par ceux d’autres femmes, voire le mettre en jeu dans le dialogue avec l’autre masculin. En effet, ce n’est qu’à travers ce second temps que se constituera à ses yeux, d’un côté, ce qui relève du féminin social, et de l’autre, ce qui appartient à la coloration propre à sa personnalité issue de ce qui tient ensemble les éléments qui forment son je.
Lire d’autres écritures, agrandir sa conscience et sa représentation du féminin
Deuxièmement, rejoignant la préoccupation qui vient d’être repérée, les écrivaines cherchent à saisir, par le miroir qu’offrent les écrits des autres femmes, de nouvelles dimensions de l’être-femme au présent, en vue d’amplifier et d’affiner leur conscience et d’améliorer leur communication avec autrui. H. Cixous reconnaît ce besoin d’autres voix :
"Nous ne pouvons pas apaiser notre faim avec des assiettes de soupe, nous ne pouvons pas nous réchauffer l’âme en mangeant. Nous avons besoin pour garder la vie de sentir que des femmes vivent tout près de nous" (L’heure de Clarice Lispector, 1989 ; et j’ajoute : des hommes aussi mais cela paraît plus évident). Leurs textes foisonnent de représentations qui ne viennent ni des hommes ni d’une organisation sociale dans laquelle le féminin est conduit à jouer un certain rôle. Elles arrivent de l’intérieur de l’être-au-monde de femmes qui sont, mieux que d’autres, capables de les communiquer. Ce sont elles qui invitent leurs lectrices et lecteurs à découvrir ce point de vue, à contribuer à le créer, à le mettre au monde par l’écriture ou par d’autres voies.
Dans notre type de société, il semble plus difficile à la femme qu’à l’homme de former des symbolisations de son genre. Pourtant, de nouvelles identifications trouvent parfois les formes qui leur permettent de prendre place dans la conscience. Par exemple, chez H. Cixous :
"Pas la séduction, pas l’absence, pas le gouffre paré de voiles", trois représentations négatives de la femme. Elle poursuit, mais : " la plénitude, celle qui ne se regarde pas, qui ne se réapproprie pas toutes ses images de reflet en visage, pas la mangeuse d’yeux. Celle qui regarde avec le regard qui reconnaît, qui étudie, respecte, ne prend pas, ne griffe pas, mais attentivement, avec un doux acharnement, contemple et lit, caresse, baigne, fait rayonner l’autre, ramène au jour la vie terrée, fuyarde, devenue trop prudente. L’illumine et lui chante ses noms" (La venue à l’écriture, 10-18, Paris, 1977 )
Se situer parmi les écrits des autres femmes, en prendre connaissance, c’est aussi chercher à renforcer le contact avec une part de sa propre spécificité. Très souvent, dans les écrits de femmes, la présence d’une autre femme est esquissée de manière explicite ou implicite - ce que Béatrice Didier (L’écriture-femme, PUF, Paris, 1981) lit comme une façon de maintenir le contact avec soi-même, de s’assurer doublement de ne pas se perdre. Nécessité née d’un contexte socioculturel dominé par le masculin ?
Fréquenter ces lieux d’écriture incite à mettre en pratique un rapport positif avec sa/ses semblables, être capable de recevoir d’elle des idées, des images, des critiques, de se laisser déloger de ses propres images, de découvrir des territoires encore inconnus, de sortir de sa propre normativité, d’entendre des expressions positives à l’égard de ses semblables, de sa mère par exemple : " Voici que s’accomplit au rivage de cette nuit le miracle de la naissance Que je te veux de reconnaissance pour cette extrême nudité où m’a forcée, si dur, si doux, si tendre et si acharné ton corps d’amour. Toi aussi, toi encore, ma mère, ma douce tourmentée, ma folle laborieuse qui m’expulse dans l’aurore..."( A.Leclerc, "La lettre d’amour" dans La venue à l’écriture, op.cit. ).
Pour celui ou celle qui veut enrichir sa représentation du féminin, ce sont là des voies à emprunter qui permettent de sortir des images réductrices, telles celle que rappelle volontiers l’adage populaire qui restreint toute la femme à sa matrice. Ou encore, dans un autre registre, celle de l’Eve pécheresse : tentatrice par laquelle - selon une partie de la Genèse - le mal trouve un accès à l’homme, alors qu’on oublie trop facilement de rappeler frayer un chemin de Salut avec Jésus-Christ.
Ne constituent-elles pas un antidote au langage du mépris tenu à l’égard du féminin ?
Etre convié-e à vivre dans une perspective égalitariste
Atteintes par de telles écritures, des femmes guérissent des blessures reçues, du regard dévalorisant que trop souvent la société a posé sur elles. Elles font un pas, puis un autre, hors des conduites où de séculaires habitudes les ont confinées. Elles redécouvrent leur plaisir d’être au monde - femmes - et, vis-à-vis des hommes, différentes d’eux, et par là toujours susceptibles d’entrer en communication avec eux. Suscitées à la parole par cette différence-même. Et espérant trouver de véritables partenaires qui, eux aussi, auront hâte d’échanger leur point de vue avec elles.
Alors, dans l’espace allégé, surviendra le temps où l’écho de leurs rires signera de nouveaux chemins de vie.
publié dans Vivre au présent, avril 1991,pour le web-Vigo, Lausanne,2004.
Au pays des " Na " Une société matriarcale en voie de disparition par Francis
Au pays des " Na " Une société matriarcale en voie de disparition par Francis
Au pays des " Na "
Soumis par francis le Dim, 30/09/2007 sur http://www.segoleneparis.fr/node/3902
Une société matriarcale en voie de disparition
Les Moso sont une ethnie du sud-ouest de la Chine, à la frontière des provinces du Yunnan et du Sichuan, sur les contreforts de l’Himalaya, à proximité de la frontière avec le Xizang, la région autonome du Tibet. Les Moso constituent un sous-ensemble de l’ethnie Naxi. Le terme "Moso" désignait anciennement tous les Naxi ; il est maintenant repris par un sous-groupe, essentiellement les habitants de Yongning et des bords du lac Lugu, qui souhaitent souligner les différences entre eux et les Naxi de la ville de Lijiang et des environs. Les ethnologues préfèrent l’appellation "Na" pour l’ensemble des populations qui utilisent pour autonyme la syllabe "Na" ; cette appellation recouvre les "Naxi" de Lijiang et les "Moso" de Yongning et du lac Lugu. Ainsi, un livre (en français) consacré aux coutumes des "Moso" est intitulé "Une société sans père ni mari : les Na de Chine".
Cette petite ethnie de 30 000 habitants a longtemps préservé des traditions et des rites particuliers.
Traditionnellement, il n’existait pas de mariage, et les enfants demeuraient toute leur vie dans la maison de leur mère. Cela a valu à la région l’intérêt de nombreux ethnologues, et d’abondantes publications. Actuellement, les mariages sont de plus en plus nombreux, sous l’influence du modèle social chinois, véhiculé par les média, l’éducation (dispensée en chinois mandarin), et une propagande active en faveur du mariage.
Les mères sont les piliers de la société. Seule l’ascendance féminine est prise en compte et la transmission du nom comme des biens est exclusivement féminine. La notion de père n’est pas inexistante (il existe un mot pour "père"), mais elle est très marginale. Les hommes et les femmes ne vivent pas en couple mais chacun dans sa famille d’origine. Les couples d’amoureux se retrouvent discrètement le soir (au domicile de la femme). Le tabou de l’inceste est particulièrement strict, en particulier entre frères et sœurs (qui logent sous le même toit et se partagent les tâches de la maisonnée). Les liaisons se nouent et se dénouent sans contraintes sociales (même si elles s’accompagnent à l’occasion d’une collaboration privilégiée entre les familles concernées, lors des travaux des champs par exemple). Sans mariage ni infidélité, ce système exclut si radicalement la possession que la jalousie en devient honteuse.
Le partage des tâches entre hommes et femmes est réglé avec précision, mais d’une façon qui varie beaucoup d’une localité à l’autre (les coutumes au bord du lac Lugu ne sont pas exactement les mêmes que dans la plaine de Yongning voisine). Au lac Lugu, les femmes en groupe assurent l’essentiel du travail pour la subsistance quotidienne.
Les enfants sont élevés par les oncles de la mère qui remplacent le père et ils ont de l’affection pour eux comme un père. Les femmes sont fières de leur position sociale et en riant, expliquent que les hommes dans la journée doivent se reposer pour être plus vaillants dans leur lit la nuit durant. Certaines femmes disent demeurer attachées au maintien de ce mode de vie car elles estiment ne vivre avec leur compagnon que des moments d’amour et de sentiments partagés sans que les questions pratiques (du quotidien, de la famille...) s’immiscent dans cette relation. Les aspects matériels, les questions de propriété, les aspects de l’éducation des enfants, tous les sujets dont débattent nécessairement les couples qui vivent ensemble, n’ont qu’une importance secondaire dans la relation entre amants du peuple moso. Il n’y a pas de relations amoureuses (et encore moins de mariages) arrangés ou pire, forcés. Ils se sont choisis et lorsque l’homme se languit d’une compagne, il va la voir.
La mère a un rôle de premier plan dans la famille, ce qui a pu faire dire qu’il s’agissait d’une société "matriarcale" où la mère est chef de famille ; en réalité, les frères et sœurs gèrent ensemble les affaires de la famille (les aînés ayant plus d’autorité que les cadets) ; d’une famille à l’autre, ce peut être un frère ou une sœur qui a le plus d’influence. Une femme âgée prépare une de ses filles à sa succession ; il est indispensable qu’une fille lui succède, car si elle n’a que des descendants de sexe masculin, leurs enfants habiteront la maison de leurs mères respectives et la maisonnée privée de descendants s’éteindra. Il n’y a pas de partage du patrimoine à sa mort. La propriété familiale reste la même de générations en générations.
A l’heure actuelle, le système familial décrit ci-dessus est en mutation, et de nombreux villages (dont ceux de la plaine de Yongning) rejoignent rapidement le modèle chinois dominant, celui du mariage, où l’épouse rejoint la maisonnée de l’époux.
« La domination masculine est encore partout »
Anthropologie - Entretien avec Françoise Héritier
« La domination masculine est encore partout »
Propos recueillis par Emilie Lanez
Lu sur http://1libertaire.free.fr/FHeritier05.html
Cette anthropologue de renom, disciple de Lévi-Strauss, va faire grincer des dents *. Alors que l’époque salue la progression sociale des femmes, Françoise Héritier démontre que cette idée est fausse et qu’au contraire la suprématie masculine reste universelle.
Dans un précédent ouvrage, l’anthropologue Françoise Héritier démontrait que la différence des sexes est à l’origine de toute pensée. Elle racontait les premiers humains, observant la nature, regardant leur corps et découvrant qu’il y a du mâle et du femelle, du sperme et du sang, du jour et de la nuit, du chaud et du froid, de l’humide et du sec. Cette catégorisation binaire, faite « aux aubes de l’humanité », structure la pensée. Aujourd’hui, la disciple de Claude Lévi-Strauss, professeur au Collège de France, va plus loin. Elle démontre que la suprématie masculine est universelle. Elle s’est immiscée au coeur de la modernité, elle est présente dans les techniques de procréation médicale, dans le débat autour de la prostitution, dans la parité. Un voyage vertigineux, où l’on découvre que l’archaïque est encore dans nos têtes.
LE POINT : Au début donc, le masculin et le féminin. Puis, très vite, le masculin qui domine partout, toujours. Comment la hiérarchie s’est-elle insinuée dans la différence des sexes ?
FRANÇOISE HÉRITIER : Les observations, faites aux aubes de l’humanité, sont concrètes. Le sang est chaud et signifie la vie. L’homme ne le perd qu’accidentellement ou volontairement, en tout cas de manière active. Il est considéré comme constamment chaud. La femme perd son sang régulièrement, ce qui lui donne un caractère froid et humide, et elle le perd sans pouvoir l’empêcher, ce qui lui confère un caractère passif. Or, dans la plupart des sociétés, l’actif est masculin et supérieur au passif féminin. Le fait que ces catégorisations binaires soient hiérarchisées, au-delà de la simple différence, signifie que la hiérarchie provient d’une autre raison que ces différences sexuées. En effet, parmi toutes les observations faites par nos ancêtres, il en est une particulièrement inexplicable, injuste, exorbitante : les femmes font leurs semblables, des filles comme elles, les hommes, non. Ils ont besoin des femmes pour faire leurs fils. Mais cette capacité de produire du différent, des corps masculins, s’est retournée contre les femmes. Elles sont devenues une ressource nécessaire à se partager. Les hommes doivent socialement se les approprier sur la longue durée pour avoir des fils. En outre, des systèmes de pensée expliquent le mystère de la procréation en plaçant le germe exclusivement dans la semence masculine. La naissance de filles est un échec du masculin, provisoire mais nécessaire. Dans cette double appropriation, en esprit et en corps, naît la hiérarchie. Elle s’inscrit déjà dans les catégories binaires qui caractérisent les deux sexes, car elles s’accompagnent nécessairement de dénigrement, de dépossession de la liberté et de confinement dans la fonction reproductive.
LE POINT : La domination du masculin serait universelle dans le temps et dans l’espace ?
FRANÇOISE HÉRITIER : Notre grille de lecture est toujours celle, immuable, archaïque, de ces catégories hiérarchisées. Les sociétés, même les plus évoluées, sont marquées par la survivance de ce type de pensée, que j’appelle le modèle dominant archaïque. Prenons un exemple. En avril 2000, le magazine Nature Neuroscience fait état d’une expérience portant sur la capacité à sortir d’un labyrinthe virtuel. La femme met 55 secondes de plus que l’homme. On montre, par ailleurs, que dans la réalité les femmes s’orientent par rapport à des critères sensibles, les hommes par rapport à des critères géométriques. Et, semble-t-il, rats et rates en feraient autant sur leurs territoires de chasse sans que cela ait d’effet sur le résultat respectif de leur quête alimentaire. On en conclut à une infériorité femelle, sur la base du postulat que savoir s’orienter rapidement selon des critères abstraits est supérieur à le faire plus lentement selon des critères concrets, car le rapide est supérieur au lent et l’abstrait au concret. Le jugement global n’est ainsi justifié que par rapport à une hiérarchie de valeurs archaïque et déjà présente dans la tête tant de l’expérimentateur que du lecteur. On voit là que prévalent des données sexuées, non questionnables. Il y a une bonne manière d’utiliser son cerveau - par les hommes - et une autre qui l’est moins - par les femmes.
LE POINT : N’y a-t-il pas eu des exemples de microsociétés fondées sur le matriarcat ?
FRANÇOISE HÉRITIER : Non, le matriarcat est un mythe au sens propre. Les mythes ont pour fonction de justifier pourquoi les choses sont comme elles sont. Ils ne racontent pas une réalité historique antérieure, mais une histoire qui justifie que les hommes dominent maintenant les femmes et détiennent le pouvoir. On raconte ainsi des histoires de temps anciens où les femmes avaient le pouvoir et le savoir, mais les utilisaient fort mal. Ce qui justifie l’intervention masculine pour les remplacer.
LE POINT : Mais il existe des sociétés matrilinéaires...
FRANÇOISE HÉRITIER : La confusion est souvent faite entre le matriarcat primitif mythologique et les sociétés matrilinéaires, où les hommes ont le pouvoir, mais où la filiation se fait par les femmes. Un clan se reconnaît par la transmission de la filiation par les femmes, mais ce sont les frères des femmes qui ont le pouvoir. La transmission des biens et des fonctions s’y fait de l’oncle maternel au neveu, fils de la soeur. Il existe quelques microsociétés de chasseurs-collecteurs dont on pourrait penser qu’elles sont égalitaires. Mais les décisions importantes, comme lever le camp, relèvent des hommes. Les femmes contribuent par la cueillette à 80 % de l’apport alimentaire nécessaire, mais c’est la nourriture apportée par l’homme, le produit de la chasse, qui est estimée et valorisée.
LE POINT : Quelques femmes illustres ont dirigé leur pays, dominé leur empire, régné... Cela ne contredit-il pas votre démonstration ?
FRANÇOISE HÉRITIER : Ce sont des femmes d’exception, dont la conduite a été considérée comme masculine. Cela n’a rien à voir avec la situation des femmes ordinaires. Femmes d’exception par la naissance ou par l’occasion, telles Hatshepsout, qui fut pharaonne d’Egypte, Judith, Elisabeth Ire, Catherine de Russie, etc. Par ailleurs, pour les femmes ordinaires, il y a des situations et des moments où elles disposent d’une « chaleur » analogue à celle des hommes, qui peut les rendre dangereuses, qu’il s’agisse de fillettes prépubères ou de femmes ménopausées. La virginité ou le célibat des femmes sont ainsi considérés comme des situations paradoxales puisqu’elles détournent les femmes de leur fonction de reproductrices, ce qui leur donne parfois la capacité de se comporter en quasi-hommes, telles Jeanne d’Arc ou la Grande Mademoiselle (qui de plus jouissait d’une naissance noble) dans notre propre histoire.
LE POINT : Lorsque des pays évoquent le relativisme culturel pour justifier l’excision, la polygamie, le mariage forcé, etc., s’agit-il, selon vous, d’un paravent commode ?
FRANÇOISE HÉRITIER : La notion de culture est certes respectable. Mais elle recouvre des systèmes d’oppo-sition particulièrement remarquables entre peuples qui jouissent de cultures différentes, qu’il s’agisse d’art, de religion, d’architecture, de nourriture, de manière de faire, de politesse, etc. Toutefois, lorsqu’on se sert de l’argu-ment culturel pour récuser l’application des droits de l’homme aux femmes (argument dont il faut noter qu’il a été jusqu’à présent admis par les Nations unies), ce qui est remarquable, ce n’est pas la diversité des usages, des comportements, des convictions à l’égard des femmes selon les différents Etats qui se réclament de ce paravent, mais au contraire l’écrasante uniformité d’un seul et unique argument : les femmes appartiennent aux hommes et ne peuvent avoir comme eux le libre usage de leur sexualité, de leur corps et de leur esprit.
LE POINT : La nature féminine serait une construction intellectuelle. Pourtant, n’est-il pas vrai que les femmes sont plus douces, plus faibles, plus fragiles ?
FRANÇOISE HÉRITIER :Les femmes ont peut-être la voix ou la peau plus douce, que les hommes, quoique cela ne soit pas une généralité absolue. De la douceur objectivement repérable de la voix ou de la peau, on fait découler des qualités féminines de passivité ou de soumission, ce qui ne va pas vraiment de soi. Il s’agit bel et bien d’une construction intellectuelle. Le physiologique sert ainsi à justifier la valence différentielle des sexes. Ces traits dits féminins sont d’ailleurs généralement assumés, voire revendiqués par les femmes comme étant l’apanage de leur sexe, leur identité, leur valeur refuge. L’ensemble du corps social érige ainsi artificiellement en qualités « naturelles », qui ne pourraient donc être modifiées, ce qui n’est que l’effet d’un prodigieux dressage mental et physique, qui existe et se pratique depuis des millénaires.
LE POINT : Première brèche dans la domination masculine : la contraception. Que vous considérez comme une conquête plus importante pour l’humanité que celle de l’espace...
FRANÇOISE HÉRITIER : Dans la longue marche vers l’égalité des sexes, on a toujours pensé que l’éducation est première. C’est vrai, et je crois aussi en la nécessité de l’éducation à l’égalité dès la naissance. Mais il y faut un préalable, me semble-t-il, et c’est au XXe siècle qu’il a trouvé sa solution. Si les femmes ont été assujetties et dominées par le seul fait de leur fécondité et de leur aptitude à faire des fils aux hommes, c’est en leur donnant le droit institutionnellement reconnu de la contraception qu’on leur accorde le statut de personne libre. C’est le premier pas vers l’égalité des sexes.
Ce n’était pas là le but recherché. Cet effet de la contraception a été accordé aux femmes pratiquement par erreur, en tout cas par mésintelligence des suites. En effet, les méthodes contraceptives peuvent être masculines ou féminines. En privilégiant la contraception féminine, les législateurs ont suivi la pente habituelle qui délègue aux femmes tout ce qui concerne les enfants, sans prévoir les conséquences d’une telle décision. Car la pilule est vraiment désormais l’instrument fondamental de l’émancipation féminine.
LE POINT : Lorsqu’on s’occupe de sexualité féminine, c’est pour inventer la contraception. Lorsqu’on s’occupe de sexualité masculine, c’est pour fournir aux hommes du Viagra, un médicament qui décuple leur puissance...
FRANÇOISE HÉRITIER : Si le politique avait simplement voulu contrôler efficacement les naissances, le meilleur moyen eût été de prendre comme lieu de contrôle le corps des hommes. Mais c’est là une utopie ! La contraception médicalisée masculine est difficile à aborder en général et aussi dans nos pays, car elle est dans l’imaginaire masculin associée à l’impuissance et, toujours dans l’imaginaire, rien ne doit entraver l’acte sexuel masculin, où fécondité possible et plaisir sont mêlés. Si la contraception masculine est un échec, en revanche, le succès du Viagra est phénoménal dans le monde entier. C’est une substance dont l’usage s’inscrit dans la logique de la domination masculine.
LE POINT : Les technologies de la reproduction peuvent-elles modifier le rapport entre le masculin et le féminin ?
FRANÇOISE HÉRITIER : En elles-mêmes, absolument pas. Le professeur Jean-Louis David, initiateur des Cecos - Centres d’étude et de conservation des oeufs et du sperme -, s’étonnait qu’il n’y ait jamais eu de reportage dans la presse sur des couples ayant eu recours à l’insémination artificielle avec donneur (IAD) ou sur des enfants nés de cette façon. A l’inverse, les premiers enfants nés par fécondation in vitro et transfert d’embryon (fivete), comme Louisa Brown en Grande-Bretagne ou Amandine en France, ainsi que leurs parents, ont été surmédiatisés. La stérilité que la FIV permet de pallier est celle de la femme, il n’est donc pas choquant d’en parler. La stérilité palliée par l’IAD est masculine, elle est très mal vécue, le recours à un donneur doit rester caché aux yeux du monde. La stérilité du couple a toujours et partout été considérée comme quasi exclusivement d’origine féminine. Nous en voyons ainsi la trace dans notre propre système de valeurs. La technologie, même la plus sophistiquée, se coule aisément dans ce schéma archaïque de la domination masculine, y compris conceptuelle.
LE POINT : Et le clonage ?
FRANÇOISE HÉRITIER : Le clonage ne modifiera en rien le rapport de domination. Si le clonage était réservé aux hommes, il leur faudrait se procurer des ovules de femmes dont on ôterait le noyau féminin et des utérus pour y placer l’ovule, dont le noyau a été remplacé par une cellule somatique masculine. Dans cette optique, le corps des femmes serait instrumentalisé. Elles seraient esclaves des intérêts masculins. A la limite, pour poursuivre dans la science-fiction, seules les femmes pourraient s’autoreproduire. Il suffirait de ponctionner un ovule, de l’énucléer, de remplacer le noyau par une cellule somatique prélevée sur leur organisme et de réimplanter le tout dans leur propre utérus. Une société pourrait être ainsi constituée uniquement de lignées féminines clonées différentes, à condition de conserver quelques paillettes de semence congelée pour renouveler de temps en temps l’espèce. Le genre masculin pourrait ainsi disparaître. Ce serait le triomphe absolu du privilège exorbitant de la féminité, non plus de produire le différent mais de se reproduire exclusi-vement, dont l’histoire de l’homme montre qu’il a toujours voulu l’asservir et s’en servir. Pour ma part, je pense que les gouvernements ont eu raison d’interdire le clonage reproductif, non pas parce qu’il est attentatoire à la dignité humaine, mais parce qu’il est attentatoire à la nécessaire reconnaissance et au nécessaire recours à l’altérité pour la constitution du social.
LE POINT : Vous prenez vigoureusement position dans le débat en cours autour de la prostitution, qui oppose les partisans d’une réglementation aux défenseurs de l’abolition. Vous rejetez ces deux positions ?
FRANÇOISE HÉRITIER : On objecte toujours qu’en matière de prostitution il n’y a rien à faire, qu’il s’agit d’un mal nécessaire, que c’est le plus vieux métier du monde, etc. Pourquoi ? Je réponds à cela qu’il s’agit simplement du fait que, par un accord tacite et dans tous les pays du monde, tout le monde s’accorde à penser que la pulsion sexuelle masculine n’a pas à être contenue, qu’elle doit suivre son cours, la seule limite étant celle de la convention sociale qui veut que l’on ne peut normalement user du corps des femmes qui sont sous le contrôle et l’autorité d’un autre homme, père, frère, mari - sauf en cas de guerre où l’attentat au corps de la femme est aussi une atteinte à l’honneur de l’homme ou à celui de la famille. On trouve normal que les jeunes gens jettent leur gourme, que les hommes s’épanchent dans des corps accueillants, parce qu’ils ne peuvent pas se retenir, que leur désir est irrépressible. Ce postulat inquestionnable est faux. C’est donc lui qu’il faut remettre en question, par l’éducation certes, mais aussi progressivement en maîtrisant de l’intérieur tous les systèmes d’expression tels que la publicité qui exploitent à la fois l’idée que le corps des femmes est offert et appartient à tous les hommes et que cette appropriation est leur droit d’homme parce que la pulsion sexuelle masculine est absolument licite et n’a pas à être maîtrisée.
LE POINT : Et là, vous notez qu’un homme public est un homme de pouvoir, une femme publique, une prostituée ?
FRANÇOISE HÉRITIER : Ce paradoxe terminologique a été relevé par l’historienne Michelle Perrot. C’est un chiasme parfait. La femme publique est celle qui fait de son corps le déversoir des humeurs sexuelles d’individus singuliers, activité considérée comme basse et méprisable. L’homme public est celui qui consacre sa pensée, son action, sa vie à l’action politique conçue comme une oblation au bien de la société.
LE POINT : Revenons à la prostitution. Quelle réponse apportez-vous ?
FRANÇOISE HÉRITIER : Il faut apprendre aux enfants que la pulsion sexuelle des hommes n’est pas irrépressible et que nombre d’entre eux savent la canaliser. Il faut aussi admettre que le désir féminin, quoique occulté, existe et qu’il a toujours été férocement réprimé, même s’il l’est moins à notre époque dans nos sociétés occidentales. Il faut aussi faire comprendre très tôt la différence entre pulsion et désir pour un partenaire choisi. Mon point de vue est qu’il n’y a pas de prostitution libre dans la mesure où elle n’existe que comme réponse à une demande qui tient à ce caractère inquestionnable de l’irrépressibilité et de la liciéité de la pulsion masculine. Par ailleurs, la punition du client n’est pas envisageable comme moyen éducatif tant que rien n’est fait pour faire comprendre aux intéressés qu’user, contre argent, du corps de quelqu’un est un abus de pouvoir.
LE POINT : Le paysage du masculin/féminin que vous dressez est bien sombre. Le politique peut-il le modifier ?
FRANÇOISE HÉRITIER : Le politique ne se saisit guère de la question et, quand il le fait, il lui apporte des réponses insatisfaisantes. Comme l’instauration de la parité dans la Constitution et par la loi, qui reconnaît ainsi institu-tionnellement une différence naturelle, fondamentale entre les sexes. Plus généralement, les mesures qui cherchent à établir l’égalité sont des mesures de rattrapage : rattraper un retard, rattraper celui qui est devant. Cela serait peut-être possible dans un système inerte où celui qu’on doit rattraper reste sur place. Ce n’est pas le cas. On le voit par exemple dans les astuces électorales mises en place pour empêcher concrètement la parité de se faire dans nos assemblées. En fait, les mesures efficaces seraient celles où l’on ferait se rapprocher les activités des deux sexes et non l’un courir derrière l’autre.
LE POINT : Par exemple ?
FRANÇOISE HÉRITIER : Je me félicite de ce point de vue de l’instauration d’un congé de paternité, signe avant-coureur, je l’espère, d’autres gestes plus efficaces. Il faut croire en l’efficacité des symboles pour parvenir au changement dans les esprits, même si ce changement, pour être universel, devra encore prendre quelques milliers d’années. Mais quelques milliers d’années pour l’humanité, ce n’est rien.
* « Masculin/féminin, volume II. Dissoudre la hiérarchie », de Françoise Héritier (Odile Jacob, 220 pages, 24,50 euro).
Françoise Héritier Elle est née le 15 novembre 1933 à Veauche (Loire). Anthropologue célèbre, ses travaux ont porté le plus souvent sur la parenté, l’inceste, la violence et la symbolique des corps. Ses ouvrages principaux : « L’exercice de la parenté » (Seuil-Gallimard) et, chez Odile Jacob, « Les deux soeurs et leur mère », « De l’inceste », « Masculin/ féminin, vol. I, La pensée de la différence », « De la violence I et II » et « Contraception : contrainte ou liberté ».
Le lien d’origine : http://www.lepoint.fr/edito/document.html ?did=122421