samedi 24 novembre 2007

Medhi met du rouge à lèvres ou comment vivre sa singulière différence


Medhi met du rouge à lèvres ou comment vivre sa singulière différence

Un ouvrage découvert lors d’une formation sous l’égide de l’association Le champ de lire à l’initiative d’un très beau projet aux dimensions internationales Poem Express qui sera l’objet d’une exposition de 150 "poèmes affiche", dont 15 d’entre eux partiront ensuite à l’étranger.

Les enfants et adolescents (de 6 à 14 ans) qui le souhaitent, peuvent également y participer par le biais d’une inscription individuelle.

Je vous offre cet extrait qui ne figure dans la présentation de l’éditeur dans son intégralité

Sa chanteuse préférée, c’est Oum Kalthoum.

La grande chanteuse égyptienne qui fait pleurer

Les Arabes à cause de l’amour. Elle est morte

depuis longtemps. Chaque nuit, elle revient dans

nos larmes et Medhi pleure, pleure tant contre sa

radio que le Nil Blanc et le Nil Bleu prennent leur

source sur ses deux joues.


David Dumortier, p.28

Éditions Cheyne, collection Poèmes pour grandir

Vous pouvez également vous référer à la note de lecture du site homoedu rédigée par Lionel Labosse, un site dont la pésence sur la toile du web est essentielle en matière de lutte contre l’homophobie et d’éducation à la tolérance.

sémaphore

Mehdi met du rouge à lèvres

David DUMORTIER

source : éditions Cheyne

Mehdi va à l’école avec du rouge à lèvres. Dès qu’il arrive, il file tous azimuts. On le poursuit, il saute la barrière des maternelles. Il revient, un point d’interrogation court derrière lui. Comme ça, il est impossible de lui poser des questions compliquées.


*

Chez ses parents, Mehdi a la responsabilité de la cheminée. Le soir, il jette une couverture de cendres sur les braises. C’est pas pour les rallumer plus vite le matin, ni pour économiser une allumette. C’est pour que le feu ait chaud, la nuit, sous une bonne épaisseur de gentillesse.


*

La corde à sauter, l’élastique, le tissage des scoubidous sur le banc le lassent. Parfois, Mehdi propose aux filles de s’ennuyer pour de faux. Chacun reste dans son coin en jouant la tristesse, on est dans ses pensées et il est interdit de parler, sinon on a perdu. Qu’est-ce qu’il ne faut pas inventer pour rêver tranquillement tout seul !


Des poèmes pour faire grandir les parents

« Un petit garçon s’habille en fille. Quand on le surprend, il rougit ; en attendant que l’enfance passe sur ses joues. Il s’appelle Mehdi. » Un garçonnet pas comme les autres. Jugez‑en : « En plus, il a des manières de fille. Elles sortent toutes seules. Elles lui échappent des mains. Il est trop tard quand il essaie de les rattraper. Mehdi ne peut pas refaire une même manière à l’envers et la remettre dans sa cage. » On imagine les questions qui fusent ; les normes qu’on lui renvoie, le peu, de cas qu’il en fait, lui qui préfère contempler les femmes que les footballeurs, sait que les pompiers font du bouche à bouche, raffole des coquelicots « qui fleurissent avec du sang », du rose bonbon et des marrons glacés, de la voix d’Oum Kalsoum aussi, « qui fait pleurer les Arabes à cause de l’amour », et joue à « s’ennuyer pour de faux » pour pouvoir « rêver tranquillement tout seul »... Éloge de la tolérance, du nécessaire écart pour que la vie soit riche : « C’est pas pareil depuis que Mehdi est là. Et quand, il n’est pas là, c’est pas pareil non plus. Pourvu qu’il reste pareil, pour que ce soit toujours pas pareil. » Troisième titre de Daniel Dumortier accueilli dans la merveilleuse collection des « Poèmes pour grandir », Mehdi met du rouge à lèvres ne choquera que ceux qui n’entendront pas la vraie raison de son maquillage (« pour que mes bises restent plus longtemps sur toi ») et s’effraieront de cette sérénité sans fard à en user chaque jour sauf pour Mardi Gras.

Recomposition familiale

Invité du Salon de Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme) début février, le poète a proposé aux collégiens ce texte sobre et beau, magnifiquement mis en images par Martine Mellinette, qui illustrait déjà son précédent recueil, Ces gens qui sont des arbres (2003), paru parallèlement à Une femme de ferme, couronné par le prix PoésYvelines 2004. La surprise bien sûr, mais l’écoute et bientôt l’adhésion, plus facile que pour les adultes, souvent rétifs à cette libre expression d’une évidence socialement réprouvée. On se souvient du débat, au sein de l’Ecole des loisirs, pour publier, en 1998, Je ne suis pas une fille à papa, de Christophe Honoré, où l’héroïne était élevée, par deux mamans. Si le roman fut finalement accueilli chez Thierry Magnier, on mesura la difficulté de faire admettre dans le secteur jeunesse les situations familiales inédites dont la société multipliait les exemples sans que l’édition assume d’en promouvoir la visibilité. Peut‑être simplement parce que les acheteurs sont des adultes, plus effrayés que leurs enfants. Ainsi se réjouit‑on du beau succès de Marius, de Latifa Alaoui et Stéphane Poulin à L’Atelier du poisson soluble (2001), où la recomposition farmiliale validait pareillement couples gay et hétéro. David Dumortier n’entend pas choquer. Juste être sincère puisqu’il a rencontré Mehdi et ne voit pas pourquoi biaiser avec le réel. Déjà La Clarisse (2000) avait donné le ton. L’histoire de cette fillette dont la curiosité ne néglige aucune exploration avait parfois heurté... les adultes, car aucun enfant n’avait hésité à se reconnaîtré dans cette envie d’être au monde qui ne s’embarrasse d’aucune bienséance. Est-ce parce qu’il est venu tard à la lecture, par la poésie’ essentiellement, alors qu’il préparait un CAP de cuisinier ? Quand il quitte les Charentes où il a grandi pour Paris, Dumortier devient infirmier en psychiatrie, travaille de nuit et prépare à l’Inalco un diplôme d’arabe classique qui le conduit en Syrie puis en Jordanie. Ces éléments biographiques disent son goût pour le mot au cœur de sa création, le souci de jouer des résonances de cet amateur de littératures à peine écrites d’Afrique ou d’ailleurs. Il cherche à en faire l’offrande aux jeunes qui les ignorent et qui n’auraient pas idée de s’en réclamer. Nulle visée didactique. Juste un envoi, une adresse pour que les mots s’envolent et se déposent sur les lèvres comme ces bises au rouge à lèvres qu’il ne faut pas essuyer si on veut en conserver la trace.

PH.-J. C., Le Monde, vendredi 10 mars 2006

Publié avec le concours du Conseil régional d’Auvergne Avec des images de Martine Mellinette E.O. 2006 / ISBN 978-2-84116-110-2 / 22 x 13 / 48 pages 13,50 €

David DUMORTIER Né en 1967 dans les Charentes. Habite Paris. Arabisant, a vécu en Syrie. A publié aux éditions de L’Arbre, L’Impatiente, Le Temps des cerises, Paris-Méditerranée et dans diverses revues, notamment Décharge, Digraphe, Gros-textes, Comme ça et autrement, Rétroviseur, Triage. En 2005 est paru Croquis de métro aux éditions Le Temps des cerises.

Toutes les œuvres de l’auteur chez Cheyne éditeur

Martine MELLINETTE Née en 1952 à Paris. Création de Cheyne avec Jean-François Manier en 1978. Dirige la collection Poèmes pour grandir. Expositions à Paris (Bibliothèque nationale, librairie-galerie Touzot), Grasse (Médiathèque municipale), Clermont-Ferrand (D.R.A.C. Auvergne), Villeurbanne (M.L.I.S.), New York (National Arts Club, Galerie Jadite).

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