lundi 12 mai 2008

Violette Leduc « Thérèse et Isabelle »[extrait]

«Les lèvres se promenaient sur mes lèvres: des pétales m'époussetaient. Mon cœur battait trop haut et je voulais écouter ce scellé de douceur, ce frôlement neuf. Isabelle m'embrasse, me disais-je. Elle traçait un cercle autour de ma bouche, elle encerclait le trouble, elle mettait un baiser frais dans chaque coin, elle déposait deux notes piquées, elle revenait, elle hivernait. Mes yeux étaient gros d'étonnement sous mes paupières, la rumeur des coquillages trop vaste.»

"Je posais des questions, j'exigeais le silence. Nous psalmodiions, nous nous plaignions, nous nous révélions des comédiennes innées. Nous nous serrions jusqu'à l'étouffement. Nos mains tremblaient, nos yeux se fermaient. Nous cessions, nous recommencions. Nos bras retombaient, notre pauvreté nous émerveillait. Je modelais son épaule, je voulais pour elle des caresses campagnardes, je désirais sous ma main une épaule houleuse, une écorce. Elle fermait mon poing, elle lissait un galet. La tendresse m'aveuglait. Front contre front nous nous disions non. Nous nous serrions pour la dernière fois après une dernière fois, nous réunissions deux troncs d'arbres en un seul, nous étions les premiers et les derniers amants comme nous sommes les premiers et les derniers mortels quand nous découvrons la mort."

Violette Leduc « Thérèse et Isabelle »
rédigé en 1954, paru sous forme censurée en 1966 puis en version intégrale en 2000

"Pour ce qui est de la littérature, en revanche, on comprend l'admiration que Genet et Beauvoir vouaient à Violette Leduc. «Thérèse et Isabelle» comporte des passages admirables. On est loin du langage vulgaire et pauvret dont nous abreuvent actuellement les écrivains trash. Chez Violette Leduc, on se «chiffonne», on se «supplie», on se «lape» en se vouvoyant.

Au bout du compte, les orgasmes raffinés de Thérèse et Isabelle s'avèrent peut-être plus suggestifs que les coïts crus de la pornographie dépressive ambiante. En s'inscrivant dans la tradition de l'érotisme littéraire au féminin, de Colette à Pauline Réage, le roman de Violette Leduc nous montre que le sexe peut être d'autant plus troublant qu'il n'est pas séparé du sentiment, et qu'en littérature, les pouvoirs de l'érotisme sont augmentés par ceux du langage. "
Fernando Sartorius
source :
http://largeur.com/expArt.asp?artID=562

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il y a la censure qui ne dit pas son nom : cette censure là c'est l'oubli de la cause des femmes, l'oubli des lesbiennes, d'une part, et de l'autre l'imposition totale de la norme machiste et hétérosexuelle.

Donc, quand cette "censure"-là, qui ne dit pas son nom ... ne fonctionne pas et que des êtres se révèlent et s'affirment féministes ou lesbiennes, alors la censure visible entre en jeu.

Cette censure là vise à protéger le patriarcat et ses prérogatives sur le corps des femmes.

"Au bout du compte, les orgasmes raffinés de Thérèse et Isabelle s'avèrent peut-être plus suggestifs que les coïts crus de la pornographie dépressive ambiante." : oh que oui ! Remarque je trouve que l'érotisme macho, celui qui passe à la télé ... procède du même esprit que la pornographie ordinaire. Des hommes dominants, des femmes à 4 pattes, etc etc. Pas de gros plan sur les sexes certes, d'ailleurs c'est plutôt le sexe masculin qui est pudiquement caché, les femmes elles ... :o(

bref, pour moi la différence c'est même plutôt une question d'état d'esprit, de jeu équilibré ... que de véritable limite entre érotisme et pornographie.