Gender et féminisme
source : http://www.ditl.info/arttest/art24161.php
A l’époque où est apparue la notion de gender en critique littéraire, le féminisme s’imposait de plus en plus à l’Europe de l’ouest et à l’Amérique du Nord. Dans les théories qui en découlent, une terminologie plus précise du féminisme a permis de mettre en relation les termes anglais de female, feminine, women, woman, et feminist litterature. C’est à partir de ces nouveaux concepts que le féminisme s’est approprié le terme gender s’opposant à celui de sexe, et qui distingue les oppositions biologiques entre mâle et femelle et les particularités de gender, qui elles-mêmes, distinguent d’un point de vue socio-culturel «masculinité» et
féminité.
Les féministes ont mis en évidence la notion de différence entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les femmes elles-mêmes ; il s’agit cependant de différences politiques, culturelles et historiques plutôt que biologiques ; différences en matière de langage, d’expérience, et également en terme d’oppression des femmes par les hommes. Dans les années soixante-dix, avec Nancy Chodorow, comme pour le gender, la notion de différence se comprend aussi en terme de psychologie.
Le concept de gender définit la féminité uniquement lorsque celle-ci n’est pas évoquée ou invisible : il évoque toujours la féminité en rapport avec la masculinité mettant en relief le fait que la nature sexuelle de la femme, mais aussi de l’homme , n’est pas seulement naturelle mais aussi culturelle.
Plus récemment, gender s’écarte quelque peu des théories féministes et apparaît d’un point de vue sémiotique comme produisant simplement des différences sexuelles (Butler). Mais actuellement, les études féministes s’appuient sur la notion de gender pris dans un contexte culturel donné, afin de préciser la notion de féminité. En effet, depuis longtemps pour les féministes, l’identité féminine n’existait que par rapport à l’identité masculine ; pourtant il s’agirait d’une identité elle-même constituée d’identités multiples et contradictoires. D’elles découlent des identités de gender. Ainsi, dans la perspective du concept de gender, l’identité est définie en tant que rôle : les faits de caractère de l’individu ne sont pas des qualités autonomes mais des fonctions en relation avec une culture et une histoire données.
Gender et littérature féministe
La notion de littérature féministe est apparue avec l’émergence de la seconde vague de féministes dans les années soixante. Il s’agit alors d’une nouvelle littérature née ave la critique féministe et les études sur les écritures de femmes.
La littérature féministe repose elle-même sur le gender dans son double rapport au sexe et à sa charge sociale et culturelle. Elle associe la féminité à une implication, voire à un rôle social et politique de la femme dans la société.
Dans les théories féministes anglophones, un débat entre constructivisme et essentialisme a également permis par la suite de faire des écrivains femmes un groupe puis des sous-groupes à part entière, et d’affirmer l’existence d’une identité féminine spécifique. D’ailleurs, pour certaines théories critiques, on peut distinguer, d’un point de vue terminologique, trois appellations qui catégorisent la place des femmes dans la littérature, ainsi que leur évolution : au départ était une littérature «féminine» qui s’appuie sur les schémas narratifs et les thèmes de la tradition des écrivains masculins ; puis arrive la littérature «féministe» qui tend à contester ces schémas et revendique son droit à l’autonomie ; enfin la littérature dite «de femme» qui impose et revendique sa propre identité du gender.
La question de littérature féministe a été très débattue dans les pays anglophones dans lesquels ont été créées des études sur les femmes dans les universités. Par contre, dans les autres pays tels que la France, cette littérature a été quelque peu mise de côté, la distinction entre féminine, féminisme et femme étant plutôt floue et peu étudiée. Par conséquent, on observe que le terme gender est lui aussi très peu employé pour parler des littératures européennes, mais beaucoup plus fréquent pour parler des littératures francophones non européennes comme la littérature québécoise.
Il est d’ailleurs évident qu’en France, la différence entre sexe et gender est beaucoup moins marquée que dans les pays anglophones ; ainsi pour parler des spécificités de la littérature féminine, on emploie plutôt des termes tels que parole de femmes ou écriture au féminin.
Gender et écriture
Grâce aux études féministes, les écritures de femmes deviennent une catégorie à analyser. C’est ainsi que l’on a pu concevoir une imagination féminine spécifique, d’où une écriture féminine différente d’une écriture masculine, et qui apporterait de nouveaux éléments aux différences biologiques entre les sexes. Apparaît alors la gynocritique, terme créé par Elaine Showalter : il s’agit d’une critique étudiant les femmes comme écrivains mais aussi les thèmes, les époques, les genres et les structures inclus dans leurs récits. Elle servira à poser les règles d’une tradition littéraire féministe. Dans cette critique, les poststructuralistes féministes ramènent sur le devant de la scène l’écriture féminine comme sujet d’étude et de discours à part entière. D’où la notion de discours qui définit chez les féministes, la relation entre le langage et réalité sociale. Il apparaît pour les féministes que le discours des écrivains, essentiellement masculin, relève d’un patriarcat qui pèse sur la liberté d’écriture des femmes. Toutes les théories féministes, notamment les théories allemandes, se sont beaucoup basées sur la notion de gender pour insister sur le fait que l’écriture féminine est bien le résultat de l’alliance des particularités sexuelles féminines et du contexte socio-culturel dans lequel elles évoluent. Il en va de même avec les théories féministes italiennes qui insistent plus sur le concept de différence sociale.
Corps et écriture
Chez les féministes, le corps a deux définitions : il s’agit à la fois du corps de la femme comme source de son oppression, et également du pouvoir de la femme (corps reproducteur). A partir des années quatre-vingt, les théories des poststructuralismes (Foucault), et des phénomologistes (Merleau-Ponty), inscrivent majoritairement le corps dans un contexte social. Dès lors, les féministes ont tenté d’intégrer à la notion de corps des scpécificités féminines corporelles, en tentant d’échapper à la catégorisation systématique de l’essentialisme. La notion de gender représente alors l’association entre corps et écriture.
Le corps n’est donc plus un simple système organique mais, défini en terme de gender, il constitue le siège des idées et des pensées (cf. Foucault). C’est ainsi que les féministes se sont approprié ces théories postmodernes afin de démontrer que le corps devient la source de l’écriture féminine. Ce qui implique également que le corps (contrairement à l’essentialisme) est différent selon les cultures et l’évolution historique.
Le concept d’écriture féminine, évoqué pour la première fois dans les écrits de Hélène Cixous, est donc significatif de la relation du corps avec le gender : le corps est ici considéré comme un espace qui accueille du discours ; les femmes écrivent avec leur corps. Il en va de même dans les théories françaises avec Luce Irigaray, à l’origine du «parler femme», qui montrera que les différences entre homme et femme s’inscrivent dans une perspective symbolique puisque le corps devient un espace de discours. Julia Kristeva a poussé plus loin l’analyse en montrant que le langage employé par les femmes écrivains viendrait directement du corps. Ces théories ont cependant été mises à mal par celles du néo-essentialisme.
Gender et différences entre les sexes
La différence sexuelle est réévaluée par les féministes des années soixante qui ont défini une socialisation à l’intérieur des rôles des sexes. Ces théories convergent majoritairement vers le fait que les hommes et les femmes ont des psychologies qui diffèrent de par leur expérience et leur conditionnement social. Pour certains dont Ellen Moers, ces différences se vérifient au sein de la littérature, notamment dans le vocabulaire, la syntaxe, les genres, les styles. C’est ainsi que Showalter montrera, comme nous l’avons vu, l’existence d’une tradition littéraire féminine basée sur les différences sexuelles.
Dans les années 1990, apparaît la queer theory qui étudie les formations homosexuelles d’un point de vue social et culturel. Cette théorie comprend aussi bien l’homosexualité féminine que l’homosexualité masculine. La queer theory a donc été créée en partie afin d’affirmer les identités homosexuelles comme identités de gender, jusque-là représentées uniquement chez les hétérosexuels. Cependant, cette revendication de devenir une identité de gender fut assez critiquée, notamment par Catherine Grant, qui affirme que les adeptes de la queer theory prônent en fin de compte la destruction des catégories traditionnelles de sexe et de gender.
Paradoxalement, la queer theory conteste donc le gender puisqu’elle préconise l’autonomie de la sexualité indépendamment des questions de gender, rejetant ainsi les affirmations d’un lesbianisme féministe qui affirme quant à lui une sexualité découlant directement de l’identité de gender.
Gender et types sexuels
Les écrivains du lesbianisme des années 1970, dont Charlotte Bunch, ont évoqué le fait que l’hétérosexualité n’est pourtant pas un comportement «naturel» mais bien un comportement social qui a pour source l’oppression des femmes par les hommes.
Mais cette conception a vite trouvé ses limites. La possible diminution de l’hétérosexualité féminine aboutirait, selon certains théoriciens, à la disparition de la notion de gender acquise par l’enfant. Au sujet de l’homosexualité, le féminisme lesbien suppose que les femmes (surtout les écrivaines) s’identifient entre elles et prennent modèle les unes sur les autres.
Chaque femme devient alors pour les autres un support politique, sexuel et économique. Le lesbianisme vu sous cet angle relève bien du gender puisqu’il implique à la fois une préférence sexuelle et un choix politique en réponse à la domination patriarcale. D’autres types sexuels ont revendiqué leur autonomie en tant que genders. La bisexualité notamment qui, d’après les théories de Darwin, est un concept biologique dans lequel sont présents à la fois les caractéristiques plutôt culturellement que biologiquement acquises. En cela, l’androgynie s’oppose à l’hermaphrodite qui ne peut être conçu comme gender puisqu’il s’agit d’un état naturel. Cette conception vise alors à démontrer qu’il n’existe pas seulement deux sexes distincts, mais bien plusieurs genders.
Enfin, la transsexualité a beaucoup interpellé les postmodernes et les queer theorists pour lesquels il s’agit d’un comportement qui remettrait en cause les concepts de la sexualité et du gender. Il s’agirait alors simplement de ce qu’on pourrait appeler une transgression du gender. Céline Gourdin.
BIBLIOGRAPHIE / Bibliographie
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