Réflexions sur la violance symbolique
Publié le 19 octobre 2007
sur http://www.archipelrouge.fr/spip.php?article1380
par Sémaphore
Cette page reprend le chapitre VIII du livre d’Igor Reitzman : Longuement subir, puis détruire. De la violance des dominants à la violence des dominés, publié aux éditions Dissonances en 2003. Le sens du mot "violance", avec un a, est expliqué dans un texte d’Igor Reitzman publié sur le site de Les Mots Sont Importants, dans la rubrique "Des mots importants", à l’entrée "Violence". Figure aussi en annexe, ici-même.
Réflexions sur la violance symbolique
par Igor Reitzman
Introduction
Si une violance est une conduite qui a pour but de contraindre un sujet (individuel ou collectif) à penser, agir ou se comporter d’une certaine façon, à subir une expérience qu’il n’a pas choisie, une violance symbolique sera une action qui a pour but de contraindre dans la sphère du symbolique, d’imposer dans la sphère du symbolique. Le symbolique peut concerner l’action à laquelle la victime est contrainte mais aussi les moyens de pression utilisés.
Publicité et propagande
Quel que soit le contenu explicite et le produit concerné, la publicité et la propagande découlent d’un postulat implicite, global, diffus qui pourrait se formuler ainsi :
Puisque nous avons beaucoup d’argent, nous avons les moyens d’exercer sur votre esprit et sur celui de vos enfants, une pression efficace. Il ne s’agit pas de savoir si nos produits sont bons ou si nos idées sont valables mais combien de fois dans la journée, nous pouvons vous contraindre à supporter notre message sans réagir négativement. Nous avons les moyens financiers et techniques qui nous permettent de peser sur vos choix de citoyen et de consommateur. Si personnellement vous parvenez à résister, l’esprit de vos jeunes enfants sera plus malléable...
La propagande et la publicité fournissent sans doute les formes les plus spectaculaires de violance symbolique, notamment dans leur stratégie lourdement répétitive : couloirs de métro tapissés avec 60 affiches identiques, refrain seriné plusieurs fois par jour pendant des années juste avant les informations. Le matraquage du "je vais vous enfoncer ça dans la tête" est subi sans grande protestation... peut-être parce qu’il a été préparé par les "enfoncez-vous bien ça dans la tête" de l’éducation traditionnelle.
Traditions et rituels
Dans les pays totalitaires, la mécanique des applaudissements, du poing levé ou du bras levé, le serment de fidélité au Chef permettent un repérage rapide des opposants, des réticents qui ont levé le bras sans empressement, des tièdes qui ont applaudi mollement ou se sont arrêtés les premiers. On raconte que dans certains meetings en Union Soviétique, les applaudissements pouvaient durer une demi-heure, personne n’osant s’arrêter le premier par crainte d’une prompte mise au goulag... Quant à ceux qui font semblant pour éviter la disgrâce et le camp de concentration, ils sont souvent conduits à infléchir leur perception du Pouvoir afin de retrouver une plus grande cohérence entre leurs actes et leurs opinions.
Même dans les nations qui se réclament de la démocratie, l’armée a ses rituels et le gaucher qui se trompe de main en saluant un gradé, risque de se retrouver en salle de police pour quelques jours. Dans un certains nombre d’établissements relevant de l’armée et de l’Éducation Nationale, les plus jeunes sont obligés, à l’occasion des bizutages, d’exprimer publiquement et de façon avilissante, leur non-valeur et leur soumission à ceux qui se sont donnés la peine de naître un ou deux ans plus tôt (vêtement-poubelle, prosternation devant les anciens et autres postures humiliantes).
Dans certaines cultures d’inspiration mosaïque, la nuit de noce doit s’achever par l’exposition du drap taché de sang. Gare à l’épousée qui n’a pu fournir la preuve publique de sa virginité au mariage.
"On fera sortir la jeune fille à la porte de la maison de son père et les gens de la ville l’assommeront de pierres et elle mourra ; car elle a commis une infamie en Israël, commettant une impureté dans la maison de son père..." (Deutéronome[1], XXII, 15 à 21)
Telle est la féroce prescription, transmise au peuple hébreu par Moïse après ses fameux entretiens du Mont Sinaï. Elle a été traduite — comme le reste de la Bible — en 2092 langues et tirées à 6 milliards d’exemplaires pour la seule période 1815-1992. Il y a beaucoup de violance dans l’obligation pour la femme (et pour elle seulement) d’être vierge au mariage, dans l’obligation de rendre publique une information qui concerne l’intimité du couple. Une information qui, par le langage binaire utilisé (un drap taché ou non), écarte la diversité des interprétations qui "innocenteraient" ( !) la femme : par exemple l’impuissance du mari ou simplement sa patience et sa délicatesse... Interdite sous peine de mort avant le mariage, la pénétration est obligatoire pendant la nuit de noce... Quant à la lapidation associée, ce n’est évidemment pas une violance symbolique mais une agression majeure tout à fait physique.
I - Imposer des significations
"Quand j’emploie un mot, dit Humpty Dumpty avec un certain mépris, il signifie ce que je veux qu’il signifie, ni plus ni moins. La question est de savoir, dit Alice, si vous pouvez faire que les mêmes mots signifient tant de choses différentes. La question est de savoir, dit Humpty Dumpty, qui est le maître, c’est tout."
Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir
Un pouvoir de violance symbolique, c’est un pouvoir qui "parvient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes"[2]. Il y parvient dans la mesure où "il dissimule les rapports de force qui sont au fondement de sa force". Il étaye ainsi durablement un pouvoir d’abord installé sur la force physique et matérielle. Pour assurer cette fonction, le maître a besoin d’avoir à ses côtés, des manipulateurs de symboles, hier prêtres, historiographes, juristes, philosophes aujourd’hui hommes politiques, journalistes, publicitaires... Plaisir de conquête ne dure qu’un moment
Jadis quand un chef de bande avait réussi à se rendre maître d’un territoire assez vaste, il avait besoin — pour asseoir durablement sa domination et celle de sa descendance — que les populations soumises cessent de le voir seulement comme le plus fort. Car on vieillit, et ce qu’une bataille a conquis risque d’être perdu par la suivante. Plaisir du sacre protège la lignée
Bien différente sera la situation lorsque par le détour du sacre — une cérémonie destinée à frapper les imaginations — les prêtres imposeront l’idée que cet homme ordinaire — éventuellement débile ou sanguinaire — est désormais devenu, grâce à quelques gouttes d’huile et quelques phrases en latin, l’oint[3] du Seigneur et que son pouvoir lui vient de Dieu.
Tous alors seront tenus de se soumettre, non parce qu’il est le plus fort, mais parce qu’il est sacré et que s’opposer à lui, ce serait s’opposer à Dieu lui-même[4]. Sans le secours providentiel du goupillon, le roi n’aurait jamais été qu’un sabre sans avenir comme sans passé. La reconnaissance par le peuple entier sera d’autant plus intense et générale que la véritable origine du pouvoir monarchique se sera effacée dans la mémoire collective au profit d’une légende opportunément hagiographique.
Bien entendu, réduire le sacre à l’huile et à l’emploi d’une langue inconnue de la multitude, est très injuste et ne permet pas de comprendre l’effet sur les sensibilités et les imaginations : il faudrait évoquer la couronne, les musiques grandioses[5] alternant avec des silences sonores, les chasubles d’or et toutes sortes de vêtements somptueux, la splendeur mystérieuse de la cathédrale, le jeu des ombres et des lumières autour des cierges, l’odeur de l’encens, la foule recueillie...
La mission civilisatrice d’une grande nation
Quand l’école imposait comme vérité aux petits garçons du Maroc, de Madagascar ou du Sénégal, l’idée qu’ils étaient Français, que leurs ancêtres étaient les Gaulois, il était moins nécessaire ensuite d’employer la force pour les utiliser comme chair à canon sur les champs de bataille à Verdun.
Demain nous aurons un bonheur sans fin
De même on peut réduire les forces de police, quand on parvient à persuader les plus misérables, les plus exploités que leur souffrance ici-bas, s’ils l’acceptent avec résignation, leur ouvrira la porte sur un bonheur sans fin dans l’au-delà... Dans une société civilisée, l’usage astucieux de la violance symbolique rend partiellement inutile l’emploi de la violance physique.
Le mythe de l’Etat neutre et démocratique
Par exemple, il est avantageux pour les dominants que la population se représente l’État comme exclusivement préoccupé de l’intérêt public et les lois comme l’expression de la volonté générale.
Il est avantageux pour les dominants que les problèmes politiques, économiques, financiers, fiscaux, judiciaires soient considérés par le plus grand nombre comme hors de leur portée (Trop compliqués pour nous ! Faut pas chercher à comprendre !) et réduits — faute de mieux — à des perceptions binaires :
Le Bien (les forces du Bien) / Le Mal (les forces du Mal)
Etat démocratique / Etat totalitaire
Des dirigeants élus / des dirigeants non élus
La liberté de la presse / la censure et la propagande.
La distinction totalitarisme/démocratie, qui relève de la typologie, se trouve subrepticement réduite à n’être plus qu’une classification. En d’autres termes, alors qu’il serait raisonnable de situer[6] la France, les Etats-Unis ou la Suède sur un axe allant du totalitaire extrême au pleinement démocratique, nos politologues discrètement courtisans ne cessent de nous le répéter : puisque nous ne vivons pas dans un Etat totalitaire, c’est que nous sommes en démocratie. Ceux qui osent penser au delà, coupent les cheveux en quatre.
Qu’en France la majorité des adultes de nationalité française (je veux parler des femmes) aient été privés du droit de vote jusqu’en 1945, n’empêchait pas nos concitoyens de s’affirmer en démocratie puisque la majorité d’une minorité élisait ses représentants. Inversement, qu’en Allemagne, les nazis aient installé en 1933, le plus monstrueux des régimes totalitaires en passant par les élections, c’est un fait qui n’a pas suffi à remettre en cause l’équivalence naïve selon laquelle l’élection garantirait la démocratie.
Pour être informés, nous disposons de plusieurs chaînes de télévision, de plusieurs radios, de plusieurs quotidiens et hebdomadaires, donc nous sommes libres de choisir entre plusieurs points de vue ! Qui oserait parler de pensée unique ? Faut-il vraiment se formaliser en constatant que le même journaliste[7] signe des papiers dans 5 publications différentes, qu’il préside le comité éditorial d’une radio à forte audience et qu’il intervient régulièrement sur plusieurs chaînes de télévision ?
Le triomphe de l’euphémisme
Avec le concours de journalistes complaisants, les dirigeants des États parviennent à imposer leurs significations et facilitent ainsi l’acceptation de réalités inacceptables : Viviane Forrester[8] remarque avec raison qu’on baptise plans sociaux, les décisions des entreprises qui organisent le dégraissage et la délocalisation, c’est-à-dire la mise au chômage — j’allais dire au rebut — de milliers de salariés... L’euphémisme fleurit lorsqu’il s’agit de faciliter l’exécution d’ordres criminels et de couvrir de mots honorables des actes déshonorants :
On n’assassine pas, on exécute. On ne massacre pas des femmes et des enfants, on se livre à une opération de nettoyage. On ne torture pas, on fait du renseignement ou on met à la question. On n’élimine pas des opposants politiques, on rééduque des malades mentaux. On ne dépouille pas, on confisque ou, mieux encore, on apporte la civilisation à des peuplades arriérées. Il n’y a pas de guerre mais des événements ou une simple opération de pacification, etc.
L’euphémisme hyperbolique
De tous les euphémismes, le plus habile est sans doute l’euphémisme hyperbolique, une forme particulièrement raffinée du jésuitisme et de la langue de bois. Pour masquer la vérité tout en la disant, il constitue un outil de premier choix et l’on peut s’y exercer sur des thèmes insignifiants. Par exemple, si votre mémoire glisse vers l’incertain, si la soustraction vous devient odieuse, au lieu de dire : "J’ai 75 ans", dites que vous êtes plus près de la quarantaine que de la trentaine. Cette formule est d’autant plus précieuse qu’elle a le mérite d’être définitivement vraie dès 36 ans... Le procédé peut servir dans des contextes très divers avec des tournures protectrices du style : le moins qu’on puisse dire...
Un père qui a fait mourir son enfant sous les coups, pourra admettre qu’il a parfois manqué de douceur. Pour parler du soutien appuyé de l’épiscopat français au régime férocement antisémite de VICHY, tel historien catholique concèdera que certains chrétiens (car on ne peut contester à un archevêque le statut de chrétien) ont parfois manqué de discernement face à un gouvernement dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas toujours été tendre avec les juifs. Les gens peu informés resteront dans leur ignorance.
Quant à la minorité de gens bien informés, elle retraduira automatiquement et se trouvera souvent embarrassée pour contester. L’euphémisme hyperbolique n’est pas le contraire de la vérité mais son plus épais camouflage. Comment contredire ? Qui oserait prétendre que Vichy fut tendre avec les juifs ou que tous les chrétiens ont fait preuve de discernement à tout moment ?
De même pour parler de l’horreur interminable du Goulag, le stalinien — en début de déstalinisation tardive — reconnaîtra bien volontiers que les dirigeants soviétiques n’ont pas toujours respecté les droits de l’homme. C’est le moins qu’on puisse dire ! ajoutera-t-il avec une touchante conviction...
II - La contribution discrète des dictionnaires
"Imposer des significations et les imposer comme légitimes" peut avoir comme utile complément le camouflage de significations importantes. Le "délit d’initié"
Le délit d’initié permet des gains vertigineux avec des risques très restreints. Le mécanisme en est très simple : Informés avant les autres de l’événement qui va décupler le prix d’un terrain ou d’une action, certains individus placés aux abords immédiats des centres de décision (Etat, Région, Municipalité) vont acheter à bas prix et revendre ultérieurement avec des plus-values d’autant plus substantielles que les capitaux en jeu sont importants.
Pour entrer dans ce cercle très privilégié, il n’est pas nécessaire d’avoir au départ de très gros capitaux, mais dîner avec le bon ministre (ou son chef de cabinet) au moment opportun, est un investissement indispensable. Pratiquée depuis très longtemps — Stendhal la décrivait déjà voici plus de 150 ans dans "Lucien Leuwen" — cette manoeuvre n’est devenue un délit que depuis 1970[9] et cela n’est guère surprenant puisque la Bourse, dans son fondement non écrit, consiste dans le dépouillement des gens informés les derniers par les gens informés les premiers. Des poursuites sont engagées si l’opération trop voyante fait scandale mais les initiés ne créeront jamais d’engorgement carcéral...
Les éditions du petit ROBERT antérieures à 1994 sont totalement silencieuses sur ce délit. Celle de 1994 définit enfin l’expression, avec des termes inspirés du petit LAROUSSE sorti l’année précédente mais chez ROBERT, les opérations réalisées grâce à des informations privilégiées ne sont plus bénéficiaires. Bien sûr le rédacteur ne va pas jusqu’à prétendre qu’elles sont déficitaires. Il se contente d’éviter tout qualificatif, sans doute dans un souci louable d’objectivité... Dans la version numérique du Grand Robert (édition 1997), l’expression est encore inconnue.
En somme, même une définition très chaste, est censurée quand le Robert est numérisé, comme si entre temps, l’éditeur avait été racheté par un grand groupe concerné par cette forme particulière d’escroquerie. Une telle supposition est évidemment tout à fait saugrenue... "Pantouflage"
Une puissante entreprise d’armement offre un poste de directeur commercial[10] à ce haut fonctionnaire qui jusqu’alors était chargé de la contrôler. Ses revenus déjà confortables vont se trouver quadruplés et il est difficile de ne pas s’interroger sur ce qui sera ainsi rétribué : s’agit-il simplement des compétences techniques déjà acquises ? des complaisances passées[11] ? du très prometteur carnet d’adresses ? Le précieux réseau des vieux camarades de promotion auxquels — à l’occasion de somptueux repas — on fera miroiter un avenir radieux :
"Tiens, DUPONT prend sa retraite dans deux ans... Je te verrais bien dans ce boulot ! Ça te tenterait ? Tu démarrerais à 500 KF... Il faut que j’en parle au patron demain matin..."
Bien entendu, quand Le Monde rend compte d’un pantouflage et des discussions qu’il a suscitées au sein de la Commission[12] de déontologie chargée de donner un avis, il s’agit toujours d’affaires de ce genre. Mais pour le Robert[13], pantoufler c’est simplement "quitter le service de l’Etat pour entrer dans une entreprise privée en payant au besoin un dédit appelé pantoufle". Une définition légère qui convient très bien pour parler du jeune gardien de la paix recruté par un supermarché. Larousse ici ne fait pas mieux.
Il serait intéressant de vérifier sur l’ensemble des usuels et pour un nombre suffisant de termes[14] si l’on a le droit d’énoncer la règle suivante :
Lorsqu’un dictionnaire ne peut ignorer totalement un terme socialement sulfureux, il se contente de le définir de façon minimale, en esquivant l’information qui pourrait mobiliser la vigilance du lecteur. Pédophile - pédéraste
"Imposer des significations et les imposer comme légitimes" peut passer par la construction de termes étymologiquement bienveillants pour évoquer une réalité perverse : par exemple "pédophile" et "pédéraste". Curieusement, ces deux termes issus du grec, signifient étymologiquement : qui aime les enfants ou ami des enfants (erân : aimer, désirer ; philos : ami, philein : aimer et pais, paidos : enfant ; jeune garçon - une racine qui se retrouve dans pédiatre et pédagogie). Il serait intéressant de retrouver des informations sur les hommes qui ont fabriqué ces termes. Probablement étaient-ils tous deux amateurs de racines grecques et d’enfants comme d’autres sont amateurs[15] de vins ou de fromages. Ils ressentaient le besoin de légitimer ce type de consommation perverse par une appellation contrôlée soigneusement. Enfin leur position dans le monde leur assurait l’écho amplifié dont ils avaient besoin pour que leurs mots à eux entrent dans les têtes et les dictionnaires.
Si tous me reconnaissent comme ami des enfants, comme aimant les enfants, je n’ai plus besoin de me sentir coupable.
Si je ne craignais pas d’être vu comme un dangereux extrémiste, je proposerais de supprimer de notre langue les mots aimer et amour qui permettent toutes les embrouilles puisqu’ils signifient une chose et son contraire. Qu’y a-t-il de commun entre l’amour oblatif (je t’aime donc je te donne) et l’amour captatif (je t’aime donc je te prends et je te consomme sans me soucier de tes sentiments et des suites pour toi de ma confiscation) ? Et l’amour oblatif lui-même n’est pas dépourvu d’ambiguïté puisqu’au Moyen Age, l’oblat, c’est l’enfant donné à un couvent : Je t’aime donc je te donne... au couvent dont tu n’auras jamais plus le droit de sortir.
La racine erân étant inconnue du plus grand nombre, le terme pédéraste créé à la Renaissance (peut-être par le plus érudit des mignons d’Henri III), est sans ambiguïté dans la mesure où il est employé depuis plusieurs siècles pour désigner un homme qui, pour assouvir ses besoins sexuels, consomme des jeunes garçons. C’est ce qu’exprime avec des signifiants plus romantiques, un homme qui s’y connaissait, l’écrivain André Gide :
"J’appelle pédéraste celui qui, comme le mot l’indique, s’éprend des jeunes garçons". (Journal, Feuillets, II févr. 1918)
Le terme devient diffamation et donc violance symbolique, quand il est utilisé par les homophobes pour désigner tout homosexuel[16].
"Pédérastie : acte contre nature qui consiste en l’assouvissement de l’instinct sexuel de l’homme avec un autre homme" (Larousse Universel en 2 volumes, éd. 1949)
Le terme pédophile me semble infiniment plus contestable, et puisqu’il n’apparaît pas encore dans tous les usuels à la disposition du grand public (il est absent dans la version numérique du dictionnaire encyclopédique Hachette 2002), on doit pouvoir encore choisir un autre terme pour désigner l’adulte qui se sert d’enfants pour ses besoins sexuels. J’ai pensé à pédophage qui mettrait l’accent sur la dévoration et la consommation. Mais je ne serais pas hostile à pédocide qui mettrait en valeur l’aspect profondément destructeur ou pédophobe qui attaquerait de front l’hypocrisie du terme à la mode. Quand cette opération d’hygiène symbolique aura réussi, il sera de nouveau plus facile de dire et de manifester qu’on aime les enfants.
III - La confiscation des termes socialement valorisés
Il est stratégiquement avantageux de maintenir la confusion autour de certains termes à forte résonance émotionnelle.
"Liberté" ou "privilège"
Si la plupart des gens ignorent qu’un droit réservé à une minorité ne s’appelle pas liberté mais privilège, il sera facile d’invoquer la liberté des loyers pour justifier le privilège des propriétaires d’alourdir à leur guise les quittances, d’invoquer la liberté du travail pour introduire des briseurs de grève dans l’entreprise, d’invoquer la liberté d’entreprise pour s’opposer à l’interdiction du travail des jeunes enfants, etc.
Inversement, les amis de ceux qui "s’enrichissent en dormant"[17] se plairont à répéter que celui qui travaille encore — même pour un salaire modeste — doit se considérer comme un privilégié et renoncer à protester quand on ampute son pouvoir d’achat. "Patriotisme" ou "nationalisme" ?
Les uns le vivent en regardant passer leur armée le 14 juillet, d’autres en retrouvant des compatriotes à 20.000 Km de chez eux, d’autres en retrouvant leur village natal après un long exil, d’autres en regardant pour la 5ème fois un film sur la Libération de Paris, d’autres en applaudissant le succès d’une équipe sportive censée représenter leur pays. Cette émotion qu’ils ont conscience de partager avec des millions de gens, et qui leur donne un sentiment très fort d’appartenance, cette émotion qui nourrit un besoin de filiation, certains la rattacheront au nationalisme, d’autres au patriotisme.
Beaucoup n’ont jamais eu l’occasion de savoir clairement ce qui différencie ces deux termes. Pourtant il n’y a rien de commun entre le nationalisme massacreur des Waffen-SS et le patriotisme de la poignée de résistants allemands qui, en 1942, luttaient pour l’écrasement de la formidable puissance hitlérienne. En choisissant ces exemples, je prends d’emblée un cas de figure dans lequel le nationaliste et le patriote vont être dans des camps opposés. Deux ans plus tard, lorsque la défaite des armées du IIIème Reich ne fait plus de doute, certains officiers nationalistes allemands feront des choix moins mécaniques.
Patriotisme qui rime avec héroïsme, se porte beaucoup dans les temps d’invasion, quand "la patrie est en danger" : 1870, 1914, 1940... En simplifiant outrageusement, on pourrait dire que le patriote est prêt à mourir pour sa patrie, tandis que le nationaliste est prêt à massacrer au nom de la patrie.
Mais en fait cette formule "mourir pour la patrie" est très floue et relève nettement de la langue de bois pour monuments aux morts. Elle va couvrir aussi bien la défense du territoire (action patriotique) que l’invasion de pays voisins ou la colonisation d’une lointaine contrée qui avait le malheur d’être riche en pétrole ou en manganèse (action nationaliste). Les soldats de l’an II, d’abord mobilisés pour la défense de la nation, finissent par se retrouver au service de Napoléon, et ceux qui disparaissent sur les champs de bataille de Russie et d’ailleurs, ne sont pas morts pour la défense de la France, mais pour satisfaire les ambitions démesurées d’un individu qui avait malheureusement le sens de la famille[18].
Lorsqu’on s’éloigne de ces temps d’épreuve, le terme patriotisme très associé à des images guerrières, semble facilement de mauvais goût et, pour tout dire, hors de saison. Cependant, je crois stratégiquement indispensable de le conserver et de le définir en opposition résolue au terme nationalisme. Faute de quoi ces émotions collectives évoquées plus haut seront annexées par les organisations d’extrême-droite qui s’en serviront une fois de plus pour dévoyer des secteurs importants de la population.
Des définitions provisoires
Le patriotisme[19], c’est l’élargissement à la nation dans laquelle on vit, de l’amour oblatif que l’on peut ressentir pour sa famille, ses proches. Il est solidarité avec un peuple bien plus qu’attachement à une terre. Dans un pays plusieurs fois envahi, la modalité guerrière ne doit pas masquer d’autres facettes qui s’appellent aujourd’hui : souci du bien public, civisme, souci écologique, volonté démocratique, sens de l’hospitalité...
Celui qui aime vraiment son pays[20] est soucieux du bonheur et de l’épanouissement des gens. Il est attentif à tout ce qui pourrait entacher l’honneur de la nation : tortures, brigandage colonial, exploitation des enfants, corruption, bidonvilles, etc.
Certains individus, qui ont été systématiquement rabaissés et humiliés dans leur enfance, éprouvent le besoin douloureux de se penser supérieurs aux autres et méritant à ce titre la première place. Si la réalité ne leur fournit pas une confirmation personnelle de cette prééminence, ils peuvent rechercher une confirmation fantasmatique au niveau d’une collectivité importante. Le nationalisme, dans sa modalité chauvine, vient flatter ce besoin : Je suis un pauvre type.
Comment se libérer de cet humiliant constat individuel ? Les nationalistes s’y emploient, le remplaçant par une affirmation collective hurlée mille fois : On est les meilleurs.
Que ce soit dans l’art de lancer un ballon ou dans la manière de bomber le torse et de marcher au pas, n’est pas le plus important. L’important, c’est d’être les meilleurs et de le répéter à satiété pour s’en convaincre. La haine, le rejet et le mépris à l’égard des autres (xénophobie et racisme) assurent une rassurante intégration parmi ceux qui partagent ces sentiments.
Le nationaliste est attaché à une terre dont il voudrait pouvoir chasser, en temps de paix, non seulement les étrangers mais aussi tous ceux dont les ancêtres sont venus d’ailleurs. Si ce rêve pouvait se réaliser, même partiellement, des milliers d’emplois intéressants seraient libérés et des millions d’hectares seraient disponibles pour les vrais Français, les valeureux descendants de ceux qui ont fait la Guerre de Cent ans et la Saint- Barthélemy.
Le nationaliste vit comme perte irréparable, l’accès à l’indépendance des pays coloniaux. Il se réjouit quand des sportifs de sa nationalité raflent des médailles et s’afflige s’ils perdent un match[21]. Parmi les slogans dont il aime orner les murailles et les défilés, "La France aux Français" est sans doute le plus ancien et le plus constant. "Mort aux..." l’accompagne souvent avec un complément qui varie et n’a pas une énorme importance pour lui, car l’essentiel est dans l’expression de cette envie de massacre longuement frustrée et révélatrice d’une enfance massacrée.
IV - Décourager par l’étiquette
Ceux qui détiennent une parcelle du pouvoir de violance symbolique peuvent faire obstacle à une conduite honorable, en l’étiquetant infâme.
"Dénonciation" ou "délation"
C’est une chose bien étrange que cette confusion soigneusement conservée à travers les siècles entre mouchardage, délation et dénonciation...
Je propose de réserver le mot délation (ou mouchardage) à toute action d’information qui va aider le puissant à écraser le faible (information notamment sur tout effort des opprimés pour se libérer : propos séditieux, création d’un syndicat clandestin, projet de soulèvement, etc.). La délation, le plus souvent secrète et anonyme, est inspirée par des motivations liées à l’angoisse et à la destructivité : peur, cupidité, jalousie, vengeance...
Je propose de réserver le mot dénonciation à toute action d’information qui va aider les opprimés en faisant connaître les masques et les méthodes de l’oppression, en appelant l’attention sur un mensonge officiel ou en montrant le vrai visage des oppresseurs. La dénonciation a souvent un caractère public : discours, article de presse, pamphlet, émission radio ou télévisée. Elle implique chez celui ou celle qui ose dénoncer, un moi fort et une sécurité intérieure qui permettent d’assumer des risques parfois vitaux.
Si la distinction était mieux établie, au moins dans le langage, les voisins de l’enfant martyrisé, hésiteraient moins à dénoncer les camarades tortionnaires ou les parents abuseurs[22]...
"Renégat"
Que des gens puissent avoir des croyances différentes des miennes, voilà bien de l’inconfort, mais en les tenant à distance, je peux finir par les oublier ou par leur attribuer une bizarrerie essentielle qui me dispensera de m’interroger sur la validité de mes propres croyances. Mais qu’un des miens en vienne à s’affirmer tout à coup comme pensant autrement, voilà ce qui ne peut s’admettre !
Quand un homme en vient à refuser officiellement le dogme dominant[23] dans son milieu, abandonnant ainsi l’autoroute très fréquentée de la passivité et de la soumission intellectuelles, le chef lance sur l’infidèle ses molosses symboliques, parmi lesquels le qualificatif "renégat" retentit comme le maître-mot de l’exclusion et du déshonneur. Combien d’hommes et de femmes ont renoncé dans le vertige, à crier que "le roi est nu", pour ne pas se retrouver brutalement marginalisés par cette disqualification.
Quand un journaliste communiste découvrait, à l’occasion d’un voyage à l’Est, la formidable imposture des régimes soviétiques, il préférait le plus souvent se taire et donnait à son prudent silence, l’alibi qu’il ne fallait pas "désespérer Billancourt".
"Relaps"
Le mot qui est tombé dans l’oubli avec l’affaissement des pratiques religieuses, fut d’une importance vitale à la fin du Moyen-Age. En cette époque de foi ardente, la violance symbolique d’un tel étiquetage s’accompagnait habituellement d’un feu qui n’était pas seulement symbolique. En ce temps-là, lorsqu’une jeune fille abjurait son hérésie et revenait au dogme, cédant ainsi à d’amicales pressions qui pouvaient revêtir la forme d’une question très ordinaire, il était préférable pour elle que sa conscience ne la ramène pas dans l’hérésie puisqu’alors elle devenait relapse. C’est ce crime qui conduisit un tribunal ecclésiastique à condamner Jeanne au bûcher, et non sa guerre contre les Anglais, comme le croient encore quelques braves gens[24].
"Allumeuse"
On pourrait évoquer aussi les violances symboliques inventées par notre société patriarcale pour accroître encore la domination des hommes sur les femmes : Il est fréquent qu’un flirt s’interrompe sans qu’il y ait eu une relation sexuelle complète. Si c’est du fait de l’homme, aucun terme désobligeant n’est prévu pour le qualifier mais si c’est la femme qui a fait usage de sa liberté, elle devient dans le langage de la confrérie des séducteurs vexés, une allumeuse. Le même qui disait un quart d’heure auparavant qu’un petit baiser n’engage à rien, traitera de salope, l’ingénue qui a pris au sérieux cette benoîte et traditionnelle manipulation.
Contre-pouvoir de violance symbolique
Parfois un groupe contestataire tente de s’installer comme contre-pouvoir de violance symbolique. Un exemple intéressant nous est fourni par certains groupes maoïstes des années 70 : dans leur discours, le gouvernement de la droite était baptisé "Occupation" ce qui leur permettait de nommer "actes de "résistance," les actions violentes illégales organisées par ces groupes.
V - Le prestige déclinant de l’argument d’autorité
Pour "imposer des significations et les imposer comme légitimes", l’argument d’autorité fut longtemps considéré comme décisif :
Dieu a dit, le Christ a dit, Aristote a dit, Mao a dit, Trotski a dit, Freud a dit, mon papa a dit...
L’argument d’autorité semble irréfutable à l’orateur qui projette sur les autres sa propre soumission à un parent symbolique. Un tel argument supplée à l’indigence éventuelle du fond par l’éblouissement d’un nom particulièrement prestigieux. Il est surtout efficace quand la société est unanime dans ses dévotions. Plus personne aujourd’hui n’oserait se couvrir d’Aristote, de Staline ou de Mao...
On le sent bien, Dieu a dit, le Christ a dit... en imposent plus qu’Aristote a dit... Plus le message est ancien, plus sa formulation originelle a été malmenée par une longue tradition orale et plus il est sacré. Une phrase traduite de l’hébreu en grec puis du grec en latin et enfin en français ou dans une autre langue profane risque d’autant plus d’être déformée qu’aux traductions officielles déjà évoquées (traduttore traditore[25], disent les Italiens), il faut ajouter les erreurs cumulées des recopiages successifs par de pieux moines et les changements de termes opérés à toutes les époques pour que le texte ne devienne pas trop choquant dans une culture à un moment donné. Toutes ces erreurs sont d’ailleurs utiles au Magistère qui pourra à l’occasion les invoquer pour modifier le dogme sans avoir à prendre des distances avec le texte sacré d’origine. On évoquera de mauvaises traductions, on dira qu’il faut revenir au texte primitif, etc.
Dans l’école[26]
"Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas qu’il soit instruit" Voltaire (lettre à M. Damilaville, 19 mars 1766)
Il est significatif qu’un homme épris de justice et de progrès comme Voltaire ait montré de la répugnance à la perspective d’instruire le peuple. A toutes les époques, dans toutes les sociétés du passé, une minorité riche a imposé sa volonté à la multitude. Pendant de nombreux siècles, l’ignorance et la crédulité de cette multitude furent considérées comme les précieux garants de sa docilité. Mais la complexification de l’univers technique, l’essor de la grande industrie, et la diffusion des idées démocratiques ont fini par imposer la généralisation de l’instruction dans les pays riches. Les besoins en cadres et en chercheurs de toutes sortes et de tous niveaux se sont accrus considérablement. Que tout le monde sache lire, écrire, compter n’était plus suffisant. Après l’instauration d’un enseignement élémentaire obligatoire, on a donc assisté à un essor spectaculaire des enseignements secondaire, technique et supérieur. Contraints d’instruire le peuple, les dominants ont découvert la merveilleuse vertu du gavage.
"Têtes bien pleines" et classes bien pleines
On connaît un peu Montaigne dans les cercles où se prennent les grandes décisions, et l’on a compris qu’une production massive de "têtes bien pleines" avec remplissage accéléré, protègerait d’une arrivée massive de "têtes bien faites". Les ministres font volontiers le procès des programmes trop chargés, puis ils confient à une commission composée de profs de fac et d’inspecteurs généraux la mission d’alléger les programmes de 6ème ! Les ministres savent que dans une heure, le temps de la réflexion et du dialogue est d’autant plus mince que les notions à transmettre sont plus nombreuses. Ils savent aussi que dans l’heure (55 mn), le temps disponible pour un travail effectif, sera d’autant plus faible que la classe est plus chargée d’élèves démotivés.
Mémoriser n’est pas intégrer
Lorsqu’il n’y a ni réflexion ni dialogue véritable, il peut y avoir mémorisation immédiate, voire mémorisation du long terme, mais les concepts ne seront pas vraiment intégrés... Cette stratégie n’interdit pas nécessairement la réussite au bac mais elle bloque l’accès à une compréhension en profondeur pour la grande masse de ceux qui ne sont pas des héritiers[27]... Le bon élève issu d’un milieu défavorisé, pourra encore, plusieurs années après, restituer ce qu’il a appris sur la comptabilité nationale ou sur la philosophie de Nietzsche, mais dans sa vie réelle, dans sa réflexion quotidienne, ce qu’il a appris restera pour l’essentiel, inutilisable. Depuis les travaux de Gaston Bachelard[28], on sait que toute étude d’un domaine nouveau devrait commencer par un échange très ouvert entre les élèves sur les images que suscite le thème en chacun. Cela permettrait d’évacuer des prénotions parfois totalement aberrantes[29] qui risquent de faire obstacle à l’intégration solide des connaissances apportées. Dans certains cas, aborder l’étude sans cet investissement préalable, revient à mettre de la peinture sur un meuble sans retirer l’épaisse couche de poussière qui le recouvre.
Mais chacun sent bien qu’une telle démarche suppose non seulement que l’on peut prendre du temps mais aussi et surtout que l’attitude habituelle des enseignants est suffisamment respectueuse et chaleureuse. Pour oser exprimer dans un groupe, ce qui risque d’être entendu comme naïveté ou absurdité, il faut des conditions externes de sécurisation vraiment importantes et notamment un climat totalement exempt de moquerie.
Une condition non suffisante mais nécessaire de ce dialogue, serait qu’on prenne en compte le bilinguisme de fait qui existe dans la plupart des classes même lorsque tous les enfants sont nés de parents français[30]. L’ostracisme qui, dès l’école élémentaire, frappe les langues régionales (breton, corse, occitan...) mais aussi tous les parlers populaires, a pour effet d’exclure de la réussite la plupart des enfants des milieux défavorisés.
Qu’on me comprenne bien : je ne propose pas que les examinateurs au Bac acceptent n’importe quel langage, mais que dans l’école, une période transitoire existe, au cours de laquelle l’enseignant utiliserait la langue officielle mais encouragerait les enfants à reformuler avec leurs mots à eux, leurs phrases à eux, et vérifierait ainsi que l’information émise par lui a pu être comprise et intégrée dans le système symbolique des apprenants, au lieu de subsister, dans le meilleur des cas[31], comme un corps étranger, inassimilable et finalement inutile.
VI - Les exclus de la compréhension
"Vous n’êtes tout de même pas un Paysan du Danube ?..Si ? Ça m’a cloué net : je ne savais pas ce que ça voulait dire"[32]
Claude Duneton montre comment ce qu’il nomme "l’intimidation culturelle" peut casser en quelques secondes l’assurance d’un adolescent même normalien. Cette forme de violance symbolique a des effets bien plus lourds quand l’incompréhensible n’est plus l’incident qui déstabilise momentanément un individu mais un flot plus ou moins continu qui, chaque jour pendant des années, s’impose à un nombre important d’élèves contraints de choisir entre se dévaloriser profondément ou bien dévaloriser l’enseignant, l’école, le savoir imposé, et même toute connaissance...
Des élèves qui ne comprenant pas se désintéressent mais n’ont ni le droit de faire autre chose, ni le droit de dormir, ni le droit de quitter la salle... Il faut faire semblant d’écouter, quitte à compenser par diverses activités souterraines qui vont distraire ceux qui seraient en état de suivre.
Le système a pu fonctionner ainsi pendant longtemps et certains enseignants s’y procuraient l’amère satisfaction d’une revanche ; aujourd’hui la plupart se retrouvent, sans plaisir, coincés dans les exigences contradictoires d’une Institution qui discourt sur l’égalité des chances tout en organisant la reproduction des inégalités. Il n’est guère surprenant que dans nombre d’établissements, le système ait fini par exploser : En plus de toutes les causes habituellement invoquées, il suffisait pour cela que le nombre des exclus de la compréhension atteigne une masse critique.
Apprends ce qu’on te dit et ne discute pas !
"Toute action pédagogique est objectivement une violance symbolique en tant qu’imposition, par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel" (Bourdieu et Passeron, La reproduction)
La fonction officielle de l’école est de transmettre des savoirs et beaucoup d’enseignants prennent à cœur cette fonction, d’où leur souffrance en constatant leur impuissance avec une partie non négligeable des élèves. Sont-ils plus heureux ou plus malheureux lorsqu’ils prennent conscience des deux fonctions latentes que l’école assure avec une assez grande efficacité ?
La première, c’est la légitimation des inégalités : X ne devient pas directeur d’usine parce qu’il est le fils d’un inspecteur des finances, mais parce qu’il a brillamment réussi ses études et fait Polytechnique. Y sera manœuvre non parce qu’il est fils d’un ouvrier agricole portugais, mais parce qu’il n’avait aucune aptitude pour les études et que de plus il était "paresseux".
La seconde, c’est la consolidation du dressage à la soumission commencé dans la famille. Les savoirs que les enfants ont l’obligation d’apprendre peuvent varier en fonction du ministre en place mais ce qui subsiste au travers des vicissitudes, c’est l’obligation et l’uniformité : tous les enfants de la classe doivent apprendre les mêmes choses au même moment, dans le même ordre. Ceux et celles qui risquent d’échouer dans un tel système, ce ne sont pas seulement les élèves privés de tout héritage culturel, mais aussi — héritiers ou non — les plus rebelles[33].
En parlant ainsi de l’école je prends le risque d’attaquer, lecteur, votre territoire d’implication, soit parce que vous êtes enseignant ou d’une famille d’enseignants soit parce que vous faites partie de ceux pour qui l’école fut un lieu de réussite soit parce que vous avez le sentiment que vous lui devez votre ascension sociale ultérieure... Mais encore une fois, c’est l’Institution que je mets en cause. Comme vous, j’ai connu des enseignants merveilleux ou passionnants qui ont sauvé — le mot n’est pas trop fort — des jeunes en train de se noyer. Comme moi, vous savez qu’il existe dans cette corporation un grand nombre de femmes et d’hommes pleins de bonne volonté, soucieux d’aider réellement tous leurs élèves, douloureusement conscients de n’avoir pas été préparés à une tâche difficile, parfois impossible, souvent désemparés devant des exigences contradictoires. Etre acteur participant à un tel système n’interdit nullement d’avoir personnellement une activité libératrice. Enseigner quoi ?
La violance symbolique d’Etat se manifeste par le choix de ce qui sera objet d’enseignement : Il n’est pas neutre que les hommes aux pouvoir (de gauche comme de droite) aient décidé que la réflexion sur les relations humaines (relations dans le couple, relations parents-enfants, maître-élèves, gouvernants-gouvernés, etc. ) n’aurait pas sa place dans l’école tandis qu’on consacrerait des centaines d’heures à l’orthographe.
Tous les Français savent que la bataille de Marignan eut lieu en 1515 mais combien, même parmi les bacheliers, sauront qu’il en est sorti le concordat de Bologne (1516), accordant à François Ier et à ses successeurs le pouvoir de choisir les évêques et les autres titulaires de bénéfices ecclésiastiques du royaume ?
Notons au passage que si le relationnel devenait enfin objet d’enseignement, il impliquerait des méthodes pédagogiques très différentes de celles qui sont généralement utilisées pour l’orthographe et les mathématiques.
Très profondément imprégnés par ce que nous avons tous avalé au long de notre enfance, nous avons de la difficulté à imaginer quelque chose d’autre que cette organisation en matières obligatoires : français, histoire, biologie... C’est à l’intérieur de cette configuration de base que se passent les débats traditionnels : latin obligatoire ou non à l’entrée en 6ème ? Philosophie ou non dans les sections techniques ? Dans quelle classe et sur combien d’heures enseigner l’Histoire contemporaine ? Parlera-t-on de la colonisation ? des guerres de religion ? Combien d’heures de français en CM2 ?
Aucune de ces interrogations ne me semble méprisable, mais avant de s’interroger sur les savoirs qui devront être imposés, ne conviendrait-il pas d’évoquer des questions plus fondamentales ? Si l’on prend au sérieux le développement de la violance sous toutes ses formes, l’extrême fragilité de nombreux couples, les difficultés de communication d’une partie importante de la population, la toxicomanie, le racisme, la dérive fascisante, la corruption banalisée et l’incapacité des élites à imaginer des solutions vraiment neuves, il n’est pas illégitime d’interpeller le système éducatif...
Dis ! Qu’as-tu fait, toi que voilà[34], de la jeunesse ?
Ses maîtres nous disent que l’école ne peut pas tout faire. Sans doute ! Mais que diriez-vous d’un boulanger qui vendrait du lait, des boissons gazeuses, des bonbons et qui refuserait de vendre du pain sous le prétexte qu’il n’y a pas assez de place dans son magasin et qu’il ne peut pas tout vendre.
Le grand public accepte sans broncher que les mêmes puissent dire : "Nous sommes le système éducatif" puis "Le système éducatif n’a pas à s’occuper de l’éducation"
L’éducation — disent-ils — "doit rester l’affaire des parents". Pourquoi pas... Mais il faut alors se poser la question de la formation des parents eux-mêmes, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain : Si l’on prend en compte les maltraitants, les laxistes, les démissionnaires, les parents "chewing-gum" dont parle Jean Bergeret, les parents absents ou très occupés, combien de parents sont en état d’assurer cette fonction éducative si nécessaire aux enfants et à la société toute entière ? L’extrême indigence de la réponse imaginée par les gouvernants (supprimer les allocations familiales) montre une surprenante indifférence face au problème général de la prévention.
Mais pourquoi vouloir à tout prix des éducateurs, alors qu’on peut construire de nouvelles prisons[35] et réduire spectaculairement le chômage par l’embauche massive de gardiens, de policiers et de gendarmes ?
Pourquoi ne pas le dire clairement ? Il n’y a pas de système éducatif mais seulement un ensemble d’écoles distribuant de l’instruction aux "âmes bien nées"... Quand un ministre déclare que "l’éducation doit être la priorité des priorités", on comprend que ce n’était qu’un lapsus électoral : C’est d’instruction qu’il voulait parler. Certains diront que c’est la même chose, et que je chipote.
Au lieu de dresser — une fois de plus — un catalogue plus ou moins arbitraire de connaissances à acquérir obligatoirement, ne vaudrait-il pas mieux que l’on s’interroge sur les capacités que l’on souhaite développer dans l’ensemble de la population de demain.
Par exemple, si l’on considère que l’autonomie est un objectif essentiel, on doit s’interroger sur les démarches les plus propices à l’autonomisation des enfants. Quelles méthodes, quels systèmes d’organisation, quelles compétences relationnelles et cognitives chez les éducateurs...
On peut aussi faire l’inventaire des moyens utilisés pour empêcher actuellement les enfants de devenir autonomes. Une façon concrète et rapide d’entrer dans cet inventaire consisterait à établir le pourcentage des travaux scolaires qui ont donné à l’enfant ou à l’adolescent l’occasion de faire des choix...
Dans l’école traditionnelle, tout est obligatoire sauf ce qui est interdit. Il faut, à chaque moment, faire ce que le maître dit : croiser les bras, écouter, ouvrir ce cahier, écrire en commençant à 3 carreaux de la marge, passer une ligne... Pendant de longues heures, on interdit à des enfants de rire, de rêver, de dormir, de parler avec les copains, de remuer la tête, les bras, les jambes, d’exprimer ce qu’ils ressentent...
Certains diront : Il faut bien que l’enfant apprenne à travailler. Mais ce n’est pas vraiment cela qui est en question. Il n’est pas sans danger de faire un autre travail que celui ordonné. Si le maître demande d’écouter, il faut au moins faire semblant. Tant pis pour ceux qui ne comprennent pas et sont trop terrorisés ou trop découragés pour le dire... Tant pis pour ceux qui, comprenant trop vite, s’ennuient...
La violance symbolique se retrouve dans les systèmes les plus courants et les plus scandaleux d’évaluation scolaire. On s’interdit d’opposer dans un match de boxe, poids lourd et poids plume, mais personne ne semble se choquer que l’on mette en compétition chaque jour des héritiers et des fils d’illettrés[36], plaçant ainsi, de manière répétitive, pendant des années, de nombreux enfants en situation d’échec, et les conduisant ainsi, doucement, à la conviction qu’ils ne valent rien, qu’ils n’auront que ce qu’ils méritent quand ils accéderont aux statuts d’O.S. ou de chômeurs...
Les châtiments corporels (agressions physiques) étant interdits depuis quelques dizaines d’années, ils tendent à devenir moins fréquents, et du coup, on accorde plus d’attention aux châtiments symboliques tels que les appréciations méprisantes assénées publiquement ou inscrites sur le bulletin trimestriel.
Le besoin d’humilier peut passer aussi par des violances symboliques : bonnet d’âne, obligation de copier 200 fois "je suis un élève stupide", etc.
Le médecin avait diagnostiqué une péritonite et hospitalisé pour une opération d’urgence. Mais le chirurgien en interrogeant l’enfant, un petit de 7 ans, comprit qu’il s’agissait d’autre chose. Les douleurs abdominales intenses s’étaient déclenchées à la suite d’une punition destinée à installer l’enfant dans une honte durable : le maître lui avait épinglé dans le dos, son cahier d’aspect sans doute particulièrement scandaleux, et l’avait obligé à faire ainsi le tour de la cour sous les huées d’une juvénile populace soucieuse de plaire au puissant du jour et de se protéger ainsi des piloris à venir. La compassion que peut nous inspirer la souffrance de cet enfant ne doit pas occulter le modèle social imposé à l’ensemble des élèves d’une école par le groupe des maîtres[37]. Un tel spectacle avec son énorme charge émotionnelle (à qui s’identifier quand on a 7 ans ?) pèsera beaucoup plus lourd que cent cours de morale...
VII - La violance symbolique dans le champ familal et religieux
L’absence de tout contre-pouvoir conduit certaines familles à devenir des lieux de supplice longue durée. Maintenant que les parents n’ont plus le droit de vie et de mort, certains sont contraints de se limiter dans leur besoin de détruire physiquement cet être fragile qui leur ressemble. Mais rien ne les empêche de se rattraper sur le plan symbolique. Parmi les démarches les plus courantes :
— la dévalorisation distillée jour après jour :
"Tu es vraiment nul ! Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour avoir un enfant aussi bête ! Ce que tu peux être laide, ma pauvre fille ! Jamais personne[38] ne voudra de toi ! Chaque fois que tu ouvres la bouche, c’est pour dire une bêtise !..."
— La manipulation de la honte, de la peur, de la culpabilité :
"Tu es complètement ridicule ! Tout le monde te regarde ! On va se moquer de toi ! Tu devrais avoir honte ! Si tu ne dis pas merci, tu vas recevoir une de ces corrections dont tu te souviendras ! On va te donner aux Bohémiens ! Cet enfant me fera mourir de chagrin ! Après tout ce que j’ai fait pour toi, voilà comme tu me remercies..."
— Les prédictions créatrices négatives[39] :
"Tu seras chômeur !..." Tu finiras en prison ! Personne ne voudra vivre avec toi !"
— Le chantage affectif et les enjeux accrochés :
"Si tu veux que Maman t’aime, tu dois..." "Et tu as cru que j’allais gober ça ! Tu me prends vraiment pour un imbécile !" Si tu aimais vraiment ton père, tu n’aurais jamais de notes au dessous de 18 ! — Les mensonges et dénis : Une vérité essentielle est tue, niée, concernant par exemple ce que subit l’enfant ou bien l’identité du père véritable :
"Tu crois que ça m’amuse de te fouetter ? Si je le fais, c’est pour ton bien !"
— L’effort pour rendre l’autre fou[40].
Dans le religieux
"Anathème[41] à qui dira : chaque homme est libre d’embrasser et de professer la religion qu’il aura réputée vraie à l’aide des lumières de sa raison" (PIE IX, Encyclique Quanta cura, 1864)
Certaines violances sont de tous les temps et se retrouvent dans tous les dogmes, notamment le fait d’interdire ou d’imposer une pratique religieuse. Même dans les sociétés réputées libérales, les jeunes enfants sont habituellement victimes de ce type de violance. Installé dans l’évidence de sa subjectivité et s’adressant à des bambins de 3 à 10 ans encore dépourvus de tout sens critique et de toute capacité à réfléchir sur des questions métaphysiques, l’adulte s’arroge le droit de leur inculquer un dogme sur lequel les théologiens disputent depuis de nombreux siècles[42].
En Europe, c’est surtout dans ces temps de grande ferveur que furent le Moyen-Age et les Temps Modernes qu’il faut chercher les violances symboliques les plus voyantes. Dans cette société très troublée par les famines, les épidémies, les massacres et les pillages des gens d’armes, la familiarité permanente avec la mort crée un climat particulièrement propice à une manipulation de la honte, de la peur, de la culpabilité.
Les terrifiantes descriptions de l’Enfer, l’interprétation systématique des malheurs individuels et collectifs par le péché et la colère divine (sur le modèle biblique), la culpabilisation brutale de tout plaisir — y compris celui qu’une femme prend avec son mari — toutes ces significations imposées ont une redoutable efficacité sur une population profondément crédule et angoissée. Dans cette société où la vision religieuse est l’explication de toutes choses, tout écart au dogme, si minime soit-il, est baptisé hérésie et apparaît au prêtre comme violance symbolique grave. Innocence ou péché mortel ?
Il y a dans une société laïcisée comme la nôtre, un certain décalage entre ce qui est péché ("acte conscient par lequel on contrevient délibérément aux préceptes, aux lois religieuses, aux volontés divines" selon le Robert) et ce qui est considéré comme faute par la société. Ce décalage rend la pression exercée par les clercs encore plus inconfortable pour la minorité de ceux qui restent dans la stricte orthodoxie. Placer la gourmandise parmi les sept péchés capitaux fait aujourd’hui sourire. Mais interdire aux couples chrétiens toute contraception autre que la continence, ouvre plutôt sur d’immenses souffrances et conduit les plus scrupuleux à voir le célibat comme un statut très enviable[43]
Au début du XXème siècle, l’archevêque de Cambrai pouvait encore donner son approbation à un catéchisme affirmant que "La profanation du dimanche par des "travaux serviles tels que la lessive ou le raccommodage est de tous les péchés celui qui, d’après les saints Pères, attire davantage sur nos têtes les fléaux du ciel, tels que tremblements de terre, inondations, bouleversements des saisons, tempêtes, guerres, révolutions, maladies épidémiques de toute nature"[44]. Accident et châtiment divin
Lorsqu’un enfant se blesse, il est fréquent que le parent lui dise : "C’est le Bon Dieu qui t’a puni"... Transmis à des moments émotionnellement forts, associé à des douleurs plus ou moins aiguës, ce refrain est certainement efficace mais pas nécessairement comme le parent l’anticipe. Il est porteur de thèmes complémentaires pleins d’avenir :
Dieu me surveille à tout moment. Dieu me punira dans mon corps chaque fois que j’aurai commis une faute. Puisque j’ai mal, c’est que Dieu me punit. J’ai donc commis une faute. Chaque fois que je me sens coupable[45], je m’attends à devoir payer corporellement.
Dans les familles où se pratiquent encore les châtiments corporels, l’association souffrance-culpabilisation est bien plus étroite encore puisque l’exécuteur est tour à tour le parent terrestre et le Père céleste. Dans son étude publiée sous le titre Faut-il battre les enfants ? (Desclée de Brouwer, 1997), le docteur Jacqueline Cornet a montré que les enfants les plus battus sont aussi (statistiquement) ceux qui ont le plus d’accidents. A volume de coups égal, le nombre d’accidents est-il plus important quand le jeune a intériorisé définitivement l’image de ce Dieu surveillant et punisseur ? Ce pourrait être un thème de recherche complémentaire...
Le ventre des femmes
De nos jours, dans les sociétés les plus pauvres, les chefs religieux disposent encore d’un pouvoir de violance symbolique important, et ils s’en servent pour faire triompher leurs modèles et leurs valeurs. Quand on interdit à une jeune Irlandaise[46] de se débarrasser du fruit d’un viol incestueux, tout se passe comme si un clergé exceptionnellement rétrograde voulait montrer au monde entier qu’en matière de violance majeure, les grandes institutions peuvent rivaliser sans complexe avec le père le plus sinistrement persécuteur. Tout se passe alors comme si l’évêque — père spirituel — disait à son tour à l’adolescente :
"Ton ventre m’appartient. C’est à moi de décider de ce qui doit s’y produire"...
Les rituels comme outils de contrôle social
Dans les rituels religieux, chacun, sous le regard de tous, doit accomplir les gestes qui attesteront de sa conformité aux croyances dominantes : Il ne s’agit pas seulement d’être présent à l’office, mais aussi de s’agenouiller, se lever, s’asseoir, baisser la tête en même temps que les autres, de prononcer les prières codifiées, de chanter les cantiques. Dans les sociétés à religion officielle, réciter correctement le Credo[47], manger du porc ou refuser d’en manger, porter le voile ou ne pas le porter, avoir ou non une barbe, ne pas faire le signe de croix au passage d’un cercueil, peut décider de la vie et de la mort[48].
VIII - Les interventions directives dans la relation d’aide
Les interventions directives sont plus ou moins fortement structurantes ; en d’autres termes, elles sont des pressions visant à installer chez l’autre une certaine structure, souvent à partir de très bonnes intentions. Elles renvoient à un discours de base qui pourrait être :
"Ce que j’en dis, c’est pour ton bien ! Je sais, moi, ce qui est bon pour toi !"
Le jugement de valeur
Un jugement est émis qui concerne les catégories du beau, du bien ou du vrai. Le discours comporte une approbation ou une réprobation, parfois une culpabilisation. Dans le grand public on est au mieux sensible au risque des formulations clairement dévalorisantes du style "Vous n’êtes qu’un voyou !" ou "Vous n’êtes pas sérieux"... Mais le besoin d’approbation qui sera éventuellement satisfait par des marques positives comme "C’est vraiment très généreux de votre part" ; "Vous avez eu raison de..." peut nous rendre aveugles à l’installation ou à la consolidation d’une dépendance. Si dans un entretien d’aide d’une heure, j’ai exprimé mon approbation à deux reprises, ma neutralité ultérieure sera reçue comme réprobation probable ou certaine et le discours de mon interlocuteur en sera infléchi voire stérilisé.
La distinction entre jugements de valeur et ressentis (positifs ou négatifs) est très importante. Il suffit pour s’en rendre compte de comparer :
Vous vous habillez avec beaucoup de goût / J’aime beaucoup les coloris de ce manteau.
Quel navet, ce film ! / Je me suis beaucoup ennuyé.
Vous avez tout à fait raison ! / Je suis totalement de votre avis.
Tu[49] es vraiment agaçant ! / Je sens mon agacement quand tu fais ça...
Dans bien des cas, on présente comme une réalité objective ce qui n’est que subjectivité. L’enfant qui fait des grimaces n’est pas agaçant mais moi, je peux être agacé... Rien ne m’autorise à vous dire que vous avez ou que vous n’avez pas de goût, que vous avez ou que vous n’avez pas raison, car ce serait m’arroger un statut d’expert suprême, d’arbitre (autorisé par qui ? sur quelle compétence ?) mais j’ai le droit d’exprimer mon accord ou mon désaccord, mon plaisir ou mon déplaisir face à votre tableau, sans oublier cependant que je vais toucher à votre territoire d’implication[50]...
La confrontation
C’est une variante intéressante du jugement de valeur négatif. Dans la confrontation, l’accent est mis sur une contradiction entre un principe affirmé et un comportement, entre position actuelle et position antérieure, etc.
"Tu dis que... mais cela ne t’empêche pas de..." ; "Hier, tu ne disais pas ça" ; "Tu te contredis..." "Il faut savoir ce que tu veux ! Un jour tu dis blanc et le lendemain, tu dis noir !" "Tu avais promis pourtant..."
Le confrontant se place en position haute, met le nez de son interlocuteur dans ses contradictions et le somme d’en sortir au plus tôt. Cette sorte d’intervention peut apporter quelque gratification de pouvoir mais elle pousse le confronté (j’allais dire : l’accusé) dans des attitudes défensives peu propices au changement. Cependant s’il existe un contrat de confrontation clair, si les rapprochements énoncés ne comportent aucune dévalorisation... La manipulation
C’est une manoeuvre souterraine par laquelle une personne, le manipulateur, s’efforce d’obtenir — sans le demander directement — un certain comportement d’une autre personne[51], le manipulé.
La flatterie[52] est la manipulation la plus connue mais il en existe beaucoup d’autres : culpabilisation, évocation du jugement de tiers, etc.
La provocation
"Si tu ne viens pas tout de suite, Maman va te laisser là...”
La petite ne veut plus avancer, et la mère croit trouver là un argument irrésistible. Il le sera peut-être si l’enfant connaît déjà, pour l’avoir vécue, la souffrance de l’abandon. Dans ce cas, la tentation sera grande pour les parents, d’installer ce terrible martinet symbolique et avec lui une permanente angoisse d’abandon qui la rendra manipulable plus ou moins définitivement.
Des messages insincères sont adressés à l’autre dans le but de le faire réagir. L’efficacité éventuelle dans le très court terme, de ce type de manipulation, comporte un prix énorme du côté de la confiance en soi et en l’autre.
Dans la formation et la thérapie
Certains apprentis thérapeutes, désireux de mobiliser une réaction agressive chez une personne très inhibée, croient habile de l’injurier et constatant que cela ne provoque pas la réaction attendue, ils s’imaginent qu’en forçant la dose, ils vont réussir alors qu’ils ne font qu’alourdir l’inhibition de celui qu’ils prétendent aider.
Dans Bonne chance, Monsieur PIC, Guy BEDOS joue (magnifiquement) le rôle d’un chômeur du style chien battu que des formateurs prétendent transformer en jeune loup dynamique. Pour y parvenir, ils utilisent tout l’arsenal du parent castrateur, y compris une succession de gifles de plus en plus fortes. Comme c’est justement ce que Monsieur PIC a toujours connu, son côté chien battu s’en trouvera seulement renforcé...
Interprétations
Parmi les interventions directives, l’interprétation mérite un traitement de faveur en raison de sa puissance particulière.
L’interprétation, c’est le fait de donner une signification claire à une chose obscure (ou une signification obscure à une chose claire ou encore une signification obscure à une chose obscure). Tout peut donner lieu à interprétation : les actes, les paroles, un lapsus, un oubli, un silence, un rêve, un accident, une souffrance du corps, une parabole, le vol d’un oiseau, la forme des nuages, une carte retournée, l’aspect des entrailles du bélier égorgé, une prédiction très ancienne[53], etc.
En fait nous passons tous notre vie à interpréter : Le sourire de celle-ci, l’air soucieux de celui-là... Devant un ciel qui soudain s’assombrit, si je me contente de sortir mon parapluie ou de presser l’allure, il s’agit d’une interprétation commune, banale en ce siècle prosaïque. Si par contre j’en déduis que le Ciel est en fureur, que la foudre vengeresse va s’abattre sur nous et qu’il faut trouver au plus vite le coupable à sacrifier pour apaiser le céleste courroux, cette interprétation, dangereuse au temps de Sophocle, surprenante pour le climatologue et le grand public d’aujourd’hui, susciterait au plus notre compassion.
Quand on disait qu’un enfant avait le diable dans le corps (une façon moderne de dire qu’il était possédé du démon), la conclusion pratique était qu’il fallait chasser ce diable, et l’hésitation portait plutôt sur les moyens : fessée, fouet, férule ou exorcisme ? La fessée déculottée et le fouet procuraient de grandes satisfactions aux éducateurs et pouvait orienter pour la vie entière la sexualité de l’enfant, comme on le sait par exemple grâce aux Confessions de Jean-Jacques Rousseau.. Mais l’exorcisme semblait plus cohérent puisqu’il consistait avant tout en une éloquente apostrophe en latin[54] de l’homme de Dieu à l’adresse du démon visiteur, latiniste lui aussi fort heureusement !
Si l’on écarte les prestations d’amateurs, on remarque très vite que les objets interprétés sont plus ou moins spécifiques d’une profession donnée : aux voyantes la carte retournée, aux anciens augures, le vol d’un perdreau ou les entrailles d’un poulet, aux prêtres des religions monothéistes le réveil du volcan ou un désastre militaire, à Joseph[55] et plus récemment aux psychanalystes, les rêves déclarés "voie royale de l’inconscient"[56]...
Disposer d’un savoir (vrai ou faux) sur l’autre, son passé et son avenir, constitue un élément de pouvoir et les professionnels qui s’affirment comme détenteurs de ce type de savoir, ont une position d’autant plus forte que la population est plus crédule.
L’aventure d’Œdipe est exemplaire de ce point de vue : Pour qu’il en vienne à tuer son père et épouser sa mère, il a fallu les interventions de deux oracles. A Laïos violeur d’un adolescent qui se suicide, le premier annonce que s’il a un fils, celui-ci le tuera et épousera sa mère. C’est parce qu’il prend au sérieux cette prédiction que le couple décide l’assassinat du bébé. Sauvé par le serviteur chargé du contrat, Œdipe grandit dans une autre famille loin de ses géniteurs Devenu jeune homme, il est informé de la prédiction par un second oracle. Lui aussi malheureusement prend au sérieux la prédiction. L’idée de tuer son père et d’épouser sa mère lui fait horreur et pour rendre impossibles de telles actions, il décide de partir loin de ceux qu’il a toujours considérés comme ses vrais parents. C’est ce souci puissant de se comporter en être humain qui le ramène vers ses géniteurs.
Ce drame oedipien plein de rebondissements peut servir d’illustration au mécanisme de la prédiction créatrice[57]. On peut aussi y voir l’illustration de l’ingénieuse perversité des divinités anciennes. Pour punir Laïos, il y avait des procédés plus directs, plus économiques et plus rapides. Mais ces divinités encore rudimentaires apprécient de punir le père dans le fils et par le fils...
Les interprétations véhiculent le plus souvent jugements de valeur et manipulations. Les plus habiles restent dans un flou gros de sous-entendus.
Tu devrais te demander pourquoi ton père a quitté la maison... Il n’y a pas de hasard : Si tu as perdu ton boulot, c’est bien que, quelque part, tu ne voulais plus continuer... Je suis sûr que tu as fait exprès de tomber malade...
Enjeux accrochés
Dans la masse des interprétations-pressions, les enjeux accrochés constituent un sous-ensemble particulièrement intéressant. Il y a enjeu accroché, lorsque d’un comportement (ou de son absence), je déduis abusivement un sentiment, une qualité (ou son absence). La famille est évidemment un territoire d’élection pour ce type de manipulations :
Si tu aimais vraiment ta mère, tu chasserais immédiatement cette fille ! Intelligent comme tu es, si n’étais pas si paresseux, tu serais toujours premier de la classe !" "Encore un verre cassé ! Tu me dis que c’est le chat ! Et tu as pensé que j’allais croire une chose pareille ? Tu me prends vraiment pour un idiot !"
Qui veut battre son fils, l’accuse d’insolence.
Dans ce dernier exemple, on peut imaginer ce qui a précédé et ce qui suivra : Rendu maladroit par la peur, pris en faute, l’enfant invente à la hâte un mensonge dont la grossièreté s’explique, non par le mépris pour le parent, mais par la terreur qui paralyse presque totalement sa capacité de réflexion. L’interprétation accusatrice, qui ne donnera lieu à aucune vérification, n’intervient que comme brève légitimation de la raclée administrée sans autre forme de procès. La raclée elle-même accroîtra encore un peu plus cette peur qui contraint tant d’enfants à mentir et à casser. Elle est comme une semence, promesse de nombreuses raclées à venir...
Igor Reitzman
Le courrier concernant ce texte peut être adressé directement à igor.reitzman@wanadoo.fr
[1] Faut-il le rappeler, le Deutéronome fait partie des Livres communs aux différentes Bibles chrétiennes et hébraïques. [2] Les citations de ce paragraphe proviennent de l’ouvrage probablement le plus important de Bourdieu et Passeron, La Reproduction, p.18 (Ed. de Minuit, 1976) [3] On pourrait dire aussi bien qu’il a reçu la suprême onction de loin préférable à l’extrême, dans la famille des sacrements. [4] Cf. St Paul, Epître aux Romains, XIII (p.2729 dans la Bible, éd. TOB) [5] Personnellement, j’ai un faible pour la messe du sacre de François Giroust. [6] A partir d’indicateurs quantifiables qu’il conviendrait de préciser. [7] Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, p. 76 à 79 (Liber - Raisons d’agir) - à lire, si vous ne l’avez déjà fait, pour garder les yeux bien ouverts... [8] Viviane Forrester, L’horreur économique, p.27 (Fayard, 1996) [9] Il faudra attendre 1975 pour connaître la 1ère condamnation d’un initié par un tribunal... [10] A un niveau plus modeste, on pourrait évoquer le cas du contrôleur des impôts recruté par un cabinet local de conseil juridique et fiscal... [11] Evidemment, on ne peut totalement exclure l’hypothèse selon laquelle le pantouflant serait d’une exceptionnelle honnêteté... [12] composée de fonctionnaires ! [13] qui se présente comme devant "permettre à ceux qui le consultent de comprendre pleinement ce qu’ils entendent..." (Alain Rey, Présentation du dictionnaire, IX) [14] Aux usuels cités on pourrait ajouter par exemple l’Encyclopedia Universalis. Aux mots déjà évoqués ici, on pourrait ajouter : castrat, oblat, stock options, etc.... [15] dans amateur, il y a aussi aimer [16] Il est vrai que dans ce cas, c’est généralement le raccourci pédé qui circule, utilisé parfois par des homosexuels eux-mêmes qui se font ainsi les agents de leur propre diffamation. [17] selon la superbe expression d’un chef d’Etat qui trouva bon de s’en accommoder... Ils arrivent à dormir — preuve d’une conscience en repos et progrès notable depuis le financier de La Fontaine [18] Il vaudrait mieux dire le sens de sa famille... [19] Les définitions du Robert : nationalisme : "exaltation du sentiment national ; attachement passionné à la nation à laquelle on appartient, accompagné parfois de xénophobie et d’une volonté d’isolement" ; patriotisme : "amour de la patrie ; désir, volonté de se dévouer, de se sacrifier pour la défendre, en particulier contre les attaques armées" [20] Je préfère éviter le terme de patriote qui me semble quelque peu compromis [21] Payer royalement quelques vedettes du sport revient sans doute beaucoup moins cher que d’augmenter massivement le nombre de piscines, de gymnases, de terrains de sport, d’aires de jeu, de moniteurs et d’éducateurs... [22] Ce terme est en lui-même ambigu : Il implique qu’on ne doit pas abuser de ses enfants, mais qu’on peut en user, à condition que ce soit avec modération. Même quand les dominants font des concessions, leur langage les trahit... [23] que le dogme soit politique, religieux ou philosophique... [24] Bien entendu, il n’est question ici que des chefs d’inculpation qui ont légitimé le bûcher. [25] Au mot à mot : traducteur traître. Traduction trahison sonne mieux, tout en étant aussi faux comme toute hypergénéralisation. [26] Le lecteur trouvera dans mon 3ème livre (Les enfants du rouleau-compresseur, tome I) des développements beaucoup plus importants sur l’éminente contribution de l’école à l’installation de la soumission [27] Au sens que lui donnent Bourdieu et Passeron, c’est-à-dire ceux qui ont reçu, tout au long de leur enfance, un capital culturel qui leur permet notamment de comprendre sans effort la langue professorale. [28] Cf. Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique. [29] Tel médecin dûment diplômé découvre à 35 ans que sa perception de l’anatomie féminine est en décalage avec la réalité au demeurant correctement enregistrée dans un autre registre de mémoire... [30] Si vous êtes obligé de relire deux ou trois fois les formules de Bourdieu et Passeron citées ici, vous ne devriez pas avoir trop de difficulté à entrer dans cette approche... [31] Quand l’enfant fait l’effort d’apprendre par coeur une longue suite de sons sans signification pour lui, afin d’éviter la punition ou de faire plaisir à l’adulte. [32] Claude Duneton, Je suis comme une truie qui doute (Coll. "Points" - Seuil, p.49-50) [33] Pour l’héritier rebelle, l’accès aux Grandes Ecoles (qui fournissent les chefs) est barré, mais une brillante réussite ne lui est pas interdite, y compris à l’Université plus accueillante parfois aux rebelles... [34] Cette interpellation me rappelle quelque chose, dit le lecteur. Il faudra que j’en parle à Villon... [35] des prisons privées et peut-être même cotées en Bourse. [36] Un suspense affreux sans cesse renouvelé ! [37] Le changement de classe demandé par la famille fut refusé et comme il n’y avait pas d’autre école dans le village... [38] Des formules très efficaces pour façonner un bâton de vieillesse convenablement résigné... [39] Ce genre de menace est certes pavé de bonnes intentions. On voudrait tellement que le jeune se mette sérieusement au travail mais la proposition conditionnelle "si tu continues à..." ne pèse pas bien lourd émotionnellement dans ce qui est perçu tandis que des mots tels que chômeur ou prison vont avoir un retentissement intense et durable... [40] Le psychanalyste SEARLES a publié sous le titre "L’effort pour rendre l’autre fou" des pages très stimulantes pour la compréhension de la schizophrénie (Gallimard - Connaissance de l’inconscient) - Cf. aussi LAING, L’équilibre mental, la folie et la famille (Stock) [41] Le lecteur aura peut-être oublié que l’anathème, c’est la sentence par laquelle l’Église retranche une personne de la communauté des fidèles, avec les conséquences que cela pouvait impliquer pour sa survie, lorsque le peuple entier partageait la même croyance. [42] Remarquons par exemple qu’au sein de l’Eglise catholique, le dogme de l’Immaculée Conception (affirmant que la Vierge Marie fut conçue sans péché) ne fut ajouté par le pape Pie IX qu’en 1854, après une controverse qui avait duré plusieurs siècles. [43] Cf les encycliques Casti connubii de Pie XI et Humanae vitae de Paul VI. Elles sont citées et commentées dans l’excellent ouvrage de Martine Sevegrand, L’amour en toutes lettres - Questions à l’abbé Viollet sur la sexualité (1924-1943), Albin Michel Histoire, 1996 [44] Chanoine Vandepitte, Catéchisme de persévérance (Fernand Deligne, 1902) p. 122 [45] Il faut se rappeler qu’on peut être culpabilisé sans être coupable et inversement. [46] Référence à une affaire dramatique qui remua l’Europe au début des années 90. [47] Prière dans laquelle l’essentiel de la doctrine catholique est affirmé ; sa récitation permet de contrôler que la personne n’est hérétique sur aucun point essentiel du dogme. [48] Le lecteur trouvera dans mon 4ème livre (Les enfants du rouleau-compresseur, tome II) des développements beaucoup plus importants sur l’éminente contribution de la religion à l’installation de la soumission. [49] C’est cette distinction qui est soulignée par Thomas Gordon dans l’opposition entre messages-je et messages-tu [50] Voir I. Reitzman, Longuement subir puis détruire, page 40. [51] Ou un ensemble de personnes (manipulation de l’opinion) [52] Ceux qui ont de la difficulté à donner des signes de reconnaissance positifs, se justifient volontiers en disant qu’ils se refusent à la flatterie. Puisqu’il n’y a pas flatterie quand on est sincère, ils affirment ainsi leur incapacité à trouver dans les autres quelque chose qui soit estimable... [53] Plus elle est obscure, plus elle suscitera l’intérêt des fondateurs de sectes et le respect des fidèles... [54] Mais pourquoi diable en latin, diront certains. Dans une société où le latin d’église circule encore, n’est-ce pas maladroit de laisser croire aux fidèles que le latin pourrait être la langue du diable ? L’hébreu ou mieux encore l’araméen ancien serait bien plus impressionnant et je suis certain que le diable n’y résisterait pas. J’invite tous les exorcistes qui me liront à tenter l’expérience en double aveugle. [55] Ce chaste jeune homme vendu par ses frères, interprète les rêves du pharaon et gagne ainsi la charge de ministre. Freud, qui connaissait bien la Bible, a certainement dû rêver sur cette aventure. Mais j’interprète ! [56] Pour Joseph, l’inconscient, dont il pourrait être question, conduit à une question théologique délicate que par délicatesse je renonce à expliciter. Mais j’encourage le lecteur à lire dans une Bible non expurgée, l’histoire, par exemple, des 7 plaies d’Egypte (Livre de l’Exode)... [57] Etudiée sous cette appellation par le sociologue Merton, la prédiction créatrice fonctionne lorsque le fait d’annoncer un événement contribue fortement à le faire advenir : Tu seras chômeur si..., tu finiras en prison... Par extension, certaines formulations au présent fonctionnent aussi très bien : Tu n’es vraiment pas doué ! C’est un débile... C’est un malade mental incurable.
vendredi 14 décembre 2007
Réflexions sur la violance symbolique par Igor Reitzman
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire