samedi 29 décembre 2007

Ils ont buté Benazir Bhutto ! par Bernard Dugué

Ils ont buté Benazir Bhutto !
par Bernard Dugué
source : Agora vox
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=33609

Ils ont assassiné Bhutto ! Une formule qui pour les Pakistanais pourrait bien résonner d’un funeste présage, comme pour nous, le « Ils ont assassiné Jaurès ! » renvoie à une période tragique de l’Histoire. Souhaitons que la réplique à cet acte odieux soit à la hauteur des menaces qui, de tous temps, ont mis les civilisations en péril. Par le fait d’une catégorie d’individus au psychisme détraqué, pénétrés de haine et de ressentiments au point de buter ceux qui pensent différemment. Le fanatisme est hélas universel. On le trouve partout, logé comme un ver vénéneux rongeant les longs efforts de l’humanité pour parvenir à la civilité. C’est un fanatique nationaliste qui assassina Jaurès et un fanatique islamiste qui a tué Benazir. Mais le pluriel s’impose. Il faut dire « Ils ». Ces gens sont organisés, se soutiennent dans leurs passions, leurs obsessions marquées par l’ignorance car c’est là aussi l’un des nerfs du problème. Le fanatique est fermé, son cerveau est embastillé dans des idées fixes sur ce qui doit être. Le fanatique a horreur de tout ce qui ouvre le réel, libère l’espace des possibles, invente un monde différent de ce qu’il a conçu dans son petit cerveau. Le fanatique rêve d’un monde où tout est conforme à la tyrannie de sa petite pensée. L’infini et l’inconnu l’inquiètent. Il fuit même la transcendance ou du moins, paraphrasant Gorgias, il dit que l’homme est la mesure de la transcendance et que, lui, il est la juste mesure d’une société qui se conçoit comme une addition de gens qui voient et pensent comme lui.

Autant dire qu’accoler une religion au fanatisme est pour le moins falsificateur sur la nature de ces phénomènes trop humains hélas. La religion ouvre vers le sens et la transcendance. Elle n’a pas vocation à fermer les gens sur leur vision égocentrique, leur mental limité, leur univers social étriqué, leur esprit sclérosé. Il est donc pénible de désigner l’islamisme. A défaut, on le dit radical. Le nationalisme de l’assassin de Jaurès fut lui aussi radical, étranger à la belle idée de nation campée par Renan. Le fanatique est replié sur l’immanence. Comme du reste le fan dans nos sociétés consuméristes, entouré de ses reliques, vivant par et pour son idole, mais à titre privé, individuel, sans menacer la société. D’autres se ferment sur leur univers consumériste. Le Pakistan, doté de l’arme nucléaire, est une société contrastée avec des zones de grande pauvreté. Et c’est ce qui constitue un terreau pour le fanatisme. Quand on n’a pas les moyens d’inventer les possibles ou de se perdre dans la consommation, on veut imposer une société à hauteur spartiate.

Ces mises au point effectuées, rendons un simple hommage à cette grande dame de la politique qui doit aussi nous rappeler quelques vérités, la moins importante étant que cette grande dame émane de la bourgeoisie éclairée pakistanaise, nous renvoyant quelques échos de notre histoire et les grands moments de la IIIe République. Il faut maintenant insister sur les desseins que cette ancienne Première ministre avait en tête pour le Pakistan, se positionnant, un peu à l’image du général de Gaulle en 1958, comme un recours pour son pays dans une crise de grande ampleur. Restons modeste et ne virons pas au panégyrique en comparant deux statures différentes, mais qui ont comme point commun d’avoir été la cible d’un attentat qui, pour notre général, a avorté alors que, hélas, l’affaire a été liquidée pour Mme Bhutto. Cette dame qui s’est fendue d’une tribune audacieuse dans Le Monde où elle déclarait, non sans quelques raisons, que son pays en était à la croisée des chemins, à l’instar de la Sécession en 1860 pour les Américains. Et je me permets d’ajouter, à l’instar de la France en 1914 (cf. Jaurès). Mais le plus important dans sa tribune, c’est son appréciation du terrorisme qui, selon elle, est renforcé lorsque le pouvoir devient coercitif pour ne pas dire dictatorial. Elle désignait implicitement le général Musharraf, responsable des troubles dans le pays qu’il dirige. C’est la même qui lors de l’attentat avorté d’octobre, mettait en cause le système de sécurité qui aurait dû déjouer une bombe pour le moins artisanale (étrange, cela ressemble au 11-Septembre). Ajoutons que ce général n’a fait preuve d’aucun zèle spécial à accueillir, défendre, protéger, celle qui voulait en découdre avec les idées et les urnes. Pour Musharraf, Benazir était plutôt un élément perturbant son jeu politique qu’une chance pour l’avenir du Pakistan. Ce Musharraf qui, connivence oblige, n’est pas mis en cause par la déclaration de G. W. Bush, son banquier en quelque sorte puisqu’il faut rappeler que le Pakistan bénéficie d’une bienveillance financière des Etats-Unis, pour un résultat que, maintenant, on peut se permettre de jauger. D’autant plus que Bhutto, dans sa tribune du Monde, mettait en cause le soutien international bien trop peu regardant à l’égard du régime instauré par Musharraf. Cet assassinat signe un symbole, sans doute une clé pour le monde qui viendra après 2007. Tout dépend comment le signe sera interprété.

Que cette mort d’une grande dame serve de leçon, notamment pour notre président bien approximatif et laudateur avec un ignorant excès sur l’espérance, la religion, le sens du sacrifice et les prétendues limites de la laïcité pour résoudre quelques aspirations sociales auxquelles le religieux pourrait pallier. Certes, le contexte de la France est différent de celui du Pakistan, mais notre président devrait quand même méditer sur ses bons et mauvais points distribués aux religieux et laïcs lors du discours de Latran. Car, si sacrifice d’une vie exemplaire il y eut, ce fut celle de Mme Bhutto, au nom des libertés, de la défense de la civilisation démocratique, d’une laïcité pour son pays, contre les intégrismes religieux et les jeux complices et malsains des castes militaires et autres oligarchies disposées à pactiser et instrumentaliser la misère spirituelle des masses musulmanes comme chez nous, Sarkozy instrumentalise le christianisme pour colmater par quelques expédients d’espérance la baisse du pouvoir d’achat des pauvres, aggravée du reste par sa politique antisociale.

Pour achever ce billet et rendre hommage à Bénazir, à elle le dernier mot et sachons apprécier son verbe et prendre acte du message qu’elle délivra et qui vaut sans doute bien au-delà des frontières pakistanaises :

« Dans le Pakistan démocratique, les mouvements extrémistes ont toujours été très minoritaires. Dans toutes les élections démocratiques organisées dans mon pays, les partis religieux extrémistes n’ont jamais rassemblé plus de 11 % des voix. Dans un contexte démocratique, l’extrémisme a toujours été marginalisé par le peuple pakistanais. En revanche, à chaque période de dictature - notamment sous la dictature militaire du général Zia-ul-Haq dans les années 1980, mais malheureusement aussi sous celle du général Musharraf depuis une dizaine d’années -, l’extrémisme religieux a pu prendre pied dans mon pays.

Que cela soit dû au fait que les dirigeants comme le général Zia ont manipulé et exploité la religion pour servir leurs propres objectifs politiques, ou au fait que la dictature suscite par elle-même des sentiments de dépossession et de désespoir, il demeure que l’extrémisme représente aujourd’hui une menace pour mon pays, pour la région et pour le monde. Ces extrémistes constituent la boîte de Pétri du terrorisme international. Cela n’a rien de fatal. La tendance doit être inversée, et il est possible d’y parvenir. » (B. Bhutto, 4 septembre 2007)

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