MISERE DE LA CONDITION MILITANTE
par Patrick MIGNARD
Ce texte va me valoir les pires sarcasmes, y compris de la part de personnes que j’aime bien. Ce n’est pas contre elles que j’écris… quoiqu’elles ne le comprendront pas, mais bien au contraire pour elles et celles qui seraient tenter de les imiter. Par contre si ce texte peut porter un coup fatal aux bureaucrates parasites (inutile de citer des noms, regardez autour de vous… et surtout les médias) qui se nourrissent de l’énergie sans limite des honnêtes, mais naïfs, militants… il aura atteint son but.
Ce texte est dédié au/à la/ militant-e inconnu-e
Quand on regarde de près l’activité militante politique on ne peut qu’être surpris entre la quantité incroyable d’énergie généreusement dépensée et la maigreur des résultats obtenus. Sans pour cela vouloir appliquer les règles d’optimisation, chères à la gestion, à l’activité militante, un tel décalage mériterait d’être étudié.
Ce gaspillage inouï d’énergie, de temps et de moyens apparaît être une fatalité acceptée par celles et ceux là même qui en font les frais : les militant-e-s de base.
Il est question ici du « vrai » militant, celui qui est désintéressé, animé par des convictions réelles, sincères et qui n’utilise pas le militantisme comme le font les bureaucrates pour asseoir leur pouvoir, trouver une issue socialement favorable à leur médiocrité et leur couardise ou continuer dans des conditions optimales leur petites et grandes affaires plus ou moins maffieuses.
SYSIPHE…
Le militant est une sorte de nouveau constructeur de cathédrale… il érige un édifice avec sa sueur, bénévolement, pour la gloire d’une cause, en fait dans l’intérêt d’une classe parasite Plus on milite pour un « monde sans exploitation », plus on se fait exploiter par les bureaucrates que l’on sert… et l’on en est fier… et l’on accuse celles et ceux qui refusent cette situation, d’égoïstes, d’irresponsables et, le comble, d’inconscients ( ?)
Ce n’est plus « cent fois sur le métier remettez votre ouvrage », mais plutôt « mille fois », voire « dix mille fois ». La patience et l’abnégation du militant sont sans limite. Il a toujours une bonne raison dans son raisonnement pour expliquer son échec qui non seulement ne l’abat pas mais au contraire le ressource. Alors que l’échec l’aliène encore un peu plus, il croit au contraire que sa conscience se renforce. Il y a de la mortification dans cette attitude à l’image des croyants qui acceptent le malheur en hommage à la puissance de leur dieu qui les met à l’épreuve.
Le militantisme, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, est une forme de « mortification laïque » permettant de supporter l’échec permanent et de dire, surtout de se dire, que l’on a « malgré tout essayé »… Grandeur morale de l’impuissance ! Pouvoir rédempteur de la flagellation ! Il ne manquerait que les stigmates de la crucifixion !
Le militant a trop tendance à confondre la détermination dans les convictions et l’action et pertinence de la pratique politique. Ce n’est pas parce que l’on croit intensément en Dieu… qu’il existe…. Ce n’est pas parce que l’on va voter et faire voter pour la gauche,… ou autre chimère, que le changement de société va se produire… le militant lui, y croit dur comme fer… et ne pas y croire, pour lui, tient de l’hérésie…. Par contre y croire est un vrai sacerdoce !
Ainsi, le nombre de tracts distribués, d’affiches collées, de cartes placées ou de journaux vendus,… devient une chose considérable, voire essentielle. Cet essentiel doit d’ailleurs se muter en un autre chiffre, celui du nombre de voix obtenues par le ou la candidat-e. L’électorat devient ainsi une sorte de pactole, « peuple de fidèles », que l’on défend bec et ongles contre les prédateurs, les autres organisations… ne dit-on pas « nos électeurs ? » Une variation de quelques pourcentages prend une valeur inestimable… d’ailleurs le militant ne se contente plus des pourcentages au moment du scrutin, il lui faut des chiffres « avant » le scrutin, une simulation, une anticipation que fournissent aimablement les sondages le plus souvent manipulés… portant ainsi les fantasmes au plus au point. Il se dope véritablement à l’adrénaline électorale. On n’est pas loin de la drogue dure.
Le soir des élections c’est la transe… tout est apparemment possible. Pourtant, les jours, les mois, les années passant, les gouvernements changeant, la Droite remplaçant la Gauche et inversement,… rien ne change fondamentalement, voire la situation se dégrade. Alors le militant cherche et trouve des réponses : le contexte international, le retournement de conjoncture, la trahison des partenaires, le sabotage de l’opposition, l’attitude « irresponsable » des abstentionnistes… il n’ose tout de même pas aller jusqu’à soupçonner la Nature ou Dieu… Mais il a réponse à tout. Son courage jamais abandonné, qui est une forme de résignation, lui tient lieu de conscience. Cette certitude proche de la foi, loin de lui ouvrir les yeux, l’enferme et le verrouille dans son monde imaginaire. Fait de lui le moteur d’une autojustification qui lui ferme les portes de la compréhension de la réalité.
Le militantisme boucle sur lui-même. L’important n’est pas finalement le résultat, c’est d’avoir « bien milité ».
J’exagère ?
Mais comment expliquer l’engagement d’hommes et de femmes qui se sont dévoués pendant des années pour des résultats inexorablement remis en question… Pire, les avantages sociaux obtenus ont été dilapidés par les candidats qu’ils soutenaient !. Faut-il donner des exemples ?… Et pourtant ils continuent à soutenir les mêmes crapules qui les ont trahis, les trahissent et sont prêtes à recommencer à la prochaine occasion. Aveuglement ? Amour fou ? Sainteté ?
Celui qui baise la main de son bourreau n’est-il pas un saint ? S’il ne l’est pas il mérite de le devenir. Santo subito !
Le militantisme n’est pourtant qu’un instrument au service d’une cause. Lorsque l’on perd la cause de vue et que le militantisme devient une fin en soi, une manière d’être avant d’être une manière de devenir… alors il y a problème. Problème d’autant plus difficile à résoudre que le mal s’insinue sans prévenir et de manière indolore. Le militant sombre dans une activité qu’il est sûr de maîtriser mais dont il est parfaitement inconscient et dépendant. Il rationalise son attitude et sa démarche en confondant « fidélité » et « obstination », « « alternative » et « alternance », ou encore « marchandisation » et « libéralisme ». Ce qui est plus grave c’est que son statut de militant le convainc de l’inutilité de toute introspection, de toute prise de distance, bref de toute critique… s’enfonçant ainsi toujours plus dans l’erreur et finalement dans le sectarisme. Prendre du recul, se donner le temps de faire le point est impensable, c’est reconnaître, vis-à-vis de soi, mais aussi des autres, que les certitudes sont branlantes, pas sûres, qu’elles peuvent être remises en question… Ce qui est impensable. Il n’y a pas place pour le doute. Oser imaginer que l’on puisse se poser la question est déjà une trahison… en d’autre temps on aurait dit un sacrilège. Le doute ? Vade retro satanas !
… ET SON ROCHER
Sisyphe poussait son rocher, le militant lutte… c’est du moins ce qu’il dit, ce qu’il croit. Le terme « lutter » a d’ailleurs pris avec le temps une signification bien singulière. « Lutter » est devenu un terme « passe partout » qui a été vidé totalement de son sens. N’importe quel homme/femme politique lutte, même les sénateurs disent lutter… c’est dire la dégénérescence du terme. Faire une grève de vingt quatre heures, c’est lutter, appeler à voter untel, c’est lutter… Ne dit-on pas que l’ « Union est un combat » ?… quand on sait à quoi sert l’union et qui en profite !… Même le terme « union » a perdu son sens et ne signifie plus rien.
Curieusement, ce qu’a perdu la plupart du temps le militant, c’est le sens du combat, celui-ci s’est en effet confondu avec l’intérêt de l’organisation et les intérêts des bureaucrates qui la structurent et en profitent. Ainsi, la « victoire de la Gauche » est plus la victoire « en soi », de la Gauche que celle d’un projet de transformation sociale… car il est clair que la Gauche n’a jamais fait et ne procèdera jamais à une transformation des rapports sociaux. Voir son/ses candidat/s arriver au pouvoir, voilà l’objectif, de lutte ( ?), du militant…. Ce que les heureux élus feront du pouvoir est une autre affaire… qui ne rentre pas en ligne de compte pour leur engagement. La preuve ? Si c’était l’inverse il y a longtemps qu’il n’y aurait plus de militants dans les partis et organisations de gauche.
C’est là que, par une extraordinaire perversion de l’esprit humain intervient la notion de « fidélité », véritable laisse, chaîne qui lie le militant à son « maître ». La fidélité est une qualité humaine incontestable, mais comme toutes les qualités elle a son côté obscur. Comme l’éloquence, la ténacité, le courage, la fidélité n’a aucune valeur en soi, elle n’a de valeur qu’au regard de la cause qu’elle sert et de la pratique qu’elle détermine.
La « fidélité militante » tourne généralement à l’ « obscurantisme politique ». En effet, la perte de sens de la lutte alliée à l’adhésion affective à une organisation qui s’est bureaucratisée aboutit, génère une attitude d’une stupidité absolue qui fait du militant une marionnette qui se croit libre. Un militant, ou alors ils sont rares, est incapable de voir la « dérive » politique, bureaucratique de son organisation. Celle ou celui qui essaye de lui montrer passe pour un traître ou un adversaire. Vade retro satanas !-bis-
La fidélité pour le militant est l’équivalent du « patriotisme » d’autrefois : on se bat on ne sait pas trop pourquoi. On a un drapeau, on se bat pour lui… c’est ça l’essentiel. J’exagère ?
Il n’est qu’à voir les militants qui ont « ouvert les yeux » après des années de fidélité à leur organisation… C’est un véritable drame personnel. Ils ont perdu tous leurs repères… preuve qu’ils n’en avaient aucun en dehors de leur organisation…. Situation typique d’aliénation.
Aujourd’hui, le degré de dégénérescence et de déliquescence des organisations politiques est extrême. Repères de professionnels (élus, notables) d’incapables (faut-il citer des noms ?), d’imbéciles (faut-il citer des noms ?), d’arrivistes (faut-il citer des noms ?), voire d’escrocs (faut-il citer des noms ?), la plupart des organisations politiques structurent l’activité politique de ce que l’on appelle, sans rire, les « grandes démocraties ». Des millions de citoyens/nes, certes à défaut d’autre chose, leur confie leur avenir au travers d’élections formellement démocratiques mais, sur le fond, jouées d’avance. Les militants (de base) leur font confiance, aident à leur légitimation et les confortent dans leurs magouilles et pouvoirs.
Comme Sisyphe, le militant roule son rocher sur la pente de ce qu’il croit être le changement. Une fois qu’il croit avoir atteint son but, le rocher retombe et il recommence… indéfiniment.
Les conquêtes sociales obtenues à force de lutte sont incontestablement des acquis. Nombreuses sont celles et ceux qui ont lutté durement pour les obtenir. Mais soyons lucides, que va-t-il en rester dans cinq ans, dans dix ans,… du service public, des retraites, du temps de travail, de la législation du travail ?… Quelle a été au niveau de l’Histoire la portée de toutes ces conquêtes qui sont entrain de disparaître et pour lesquelles les politiciens et bureaucrates syndicaux nous font user nos semelles, inutilement, sur le pavé de nos villes ?
Paradoxalement, les militants ont rarement le sens de l’Histoire, ils l’ont généralement au travers de citations et de slogans milles fois répétés, d’ouvrages dont ils n’ont lu que quelques extraits et encore,… Finalement on pense pour eux… Ils n’ont qu’à adhérer à des courants, des tendances incarnées par des bureaucrates qui font et défont les idées dans les médias et dans l’organisation de congrès préfabriqués aux motions prédigérées. La « pensée politique » des partis est à la pensée, ce que Mac Donald est à la cuisine.
Ils ont bonne mine les militants des organisations de Gauche de se dévouer pour des partis qui n’ont eu de cesse ces dernières années de remettre en question tous ces acquis. De se dévouer corps et âmes pour des organisations qui n’aspirent qu’à une chose : parvenir au pouvoir… Mais pour y faire quoi ? Appliquer un programme ? Mais quel programme ? Et nous savons très bien qu’un programme n’est qu’un chiffon de papier entre les mains des hommes de pouvoir. Combien de fois faudra-t-il qu’ils se fassent avoir pour le comprendre une bonne fois pour toute.
Aucun programme, aussi précis, progressiste, sophistiqué, détaillé soit-il ne remplacera la pratique sociale de millions de citoyens décidés à changer les rapports sociaux. Or, de cette pratique, aucun politicien n’en veut, au contraire il fait tout pour maintenir le « citoyen-militant » dans une pratique infantilisante ou les promesses et les rappels à la fidélité tiennent lieu d’explication et de justification. Votez, on fera le reste ! Le militantisme est-il à proscrire ? Bien sûr que non, mais entendons nous sur ce que l’on appelle le « militantisme ». S’il s’agit d’une profession de foi telle que nous venons, sans exagération, de la décrire alors oui, il est à proscrire. Si le militantisme est une manière d’être citoyen, au sens originel du terme, une manière d’être critique par rapport à une situation, à toutes les situations, une manière de créer, d’adapter une pratique collective en vue du changement social,… alors OK, je suis partant.
Patrick MIGNARD
source :
indymedia Paris île de France : http://paris.indymedia.org/
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