dimanche 17 février 2008

4. La tentation « gynécidaire » Claude Guillon

4. La tentation « gynécidaire »

extrait de "Je chante le corps critique" Claude Guillon , chap. III, « Le corps des femmes : gestion - élimination », 2008, (http://claudeguillon.internetdown.org)

Dans la soirée du 29 juillet 2004, dans un supermarché du XIXe arrondissement de Paris, un homme poignarde dans le dos une inconnue de 37 ans, qui décédera dans la nuit. « Elle ne méritait pas de vivre ; elle était trop belle », déclare l’assassin [123]. Ce qui mérite d’être qualifié de « scène de genre » - un être humain du genre masculin ôte la vie à un être du genre féminin en raison des rapports de domination de l’un sur l’autre - n’attire l’attention de la presse que par une circonstance exceptionnelle : la victime ne connaissait pas son bourreau. Normalement - cet adverbe renvoie à la normalité sociale dans un système de domination masculine -, 85 % des femmes victimes d’homicides sont tuées par leur mari ou conjoint, leur ancien mari ou conjoint, ou un membre de la famille [124].

Écartons l’objection visant la violence effectivement exercée, dans les couples hétérosexuels, par des femmes sur les hommes : en France, une femme décède en moyenne tous les 4 jours des suites de violences masculines au sein du couple ; un homme décède dans des conditions symétriques tous les 16 jours [125]. Que le tableau général de ces meurtres, qualifiés de « passionnels » par l’idéologie dominante, qui prétend y voir des sortes d’« accidents », puisse faire douter en bloc des vertus de l’« amour », entendu comme pulsion naturelle hétérosexuelle tendant à la propriété exclusive d’autrui, c’est le moins que l’on puisse dire. Il ne s’ensuit pas que l’on puisse déclarer insignifiant le rapport de 1 à 4 qui caractérise les risques de mort encourus par les femmes et par les hommes dans le couple hétérosexuel ; ce rapport est l’une des manières d’appréhender la domination masculine dans les sociétés occidentales.

Plus une société est habituellement régie par des codes masculins stricts (coutumes, religions, superstitions), souvent acceptés par les femmes au moins tant qu’ils ne mettent pas leur vie en danger (et même au-delà), et plus elle se trouve, par surcroît, déstructurée par une guerre (civile de préférence), plus la situation des femmes se dégrade. D’objets domestiques et de convoitise, elles deviennent des objets de haine et cristallisent le ressentiment et les pulsions meurtrières des hommes comme individus, et de la société machiste comme système. Ainsi, dans la société palestienne soumise à l’occupation et aux opérations militaires israéliennes, aux luttes entre factions idéologiques, et aux difficultés sociales, à quoi s’ajoute l’irruption de la pornographie via la télévision par câble, la violence intrafamiliale touche plus que jamais femmes et enfants, selon un classique schéma en cascade. Un assistant social travaillant dans un hôpital de Bethléem le décrit : « Depuis plus de trois ans, à cause du chômage, l’homme est mis en marge de la société. Le seul endroit où il peut encore exercer sa domination, c’est à la maison : alors il bat son épouse, l’épouse bat ses enfants et les enfants se battent entre eux [126]. » On peut faire des constations similaires dans l’Irak de l’après-Saddam où s’affrontent troupes américaines et milices rivales [127].

suite ici :
http://archipelrouge.blogspot.com/2008/02/de-la-domination-aux-fmicides-claude.html

notes :

[123] Libération, 31 juillet-1er août 2004.

[124] Étude menée de 1990 à 1999 par l’Institut médico-légal de Paris ; Libération, 28 février 2001.

[125] Recensement national des morts violentes survenues au sein du couple en 2003 et 2004, ministère de la Cohésion sociale et de la Parité, 2005, cité in Libération, 13 décembre 2005. Ajoutons qu’une femme sur deux subissait des violences avant son décès, contre un homme sur cinq. Pour une appréciation critique des statistiques, voir Jaspard Maryse, Les Violences contre les femmes, La découverte, 2005, p. 46. Sur la situation française, voir également Les violences faites aux femmes en France. Une affaire d’État, Amnesty international, Autrement, 2006. Parmi les permanences téléphoniques à la disposition des jeunes filles et femmes victimes de violences : Violences conjugales femmes info services et MFPF (01 40 33 80 60) ; Collectif féministe contre viol (0800 05 95 95) ; pour les deux sexes, Enfance maltraitée (119).

[126] Cf. « Intifada. Huis clos pour les femmes », Stéphanie Le Bars ; Le Monde, 10 septembre 2004.

[127] Cf. « Les Irakiennes, premières victimes du chaos politique et social de l’après-Saddam », Le Monde, 17 septembre 2003.

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