dimanche 13 avril 2008

La langue et la pensée

La langue et la pensée

Editorial sur Le Temps.CH

par Laurent Wolf

Jeudi 20 septembre 2007

Les hasards de l’actualité provoquent des collisions qui incitent à réfléchir. Sans aucune malice nous publions dans les pages qui suivent un article sur l’adoption de l’anglais dans quelques filières d’enseignement de nos universités et le compte rendu d’une enquête rapportée par le magazine National Geographic où l’on apprend que la moitié des 7000 langues parlées aujourd’hui aura disparu à la fin du siècle, soit une langue morte toutes les deux semaines.

L’anglais comme langue de travail dans l’enseignement supérieur, voilà qui paraît raisonnable compte tenu des besoins du marché du travail. La tendance pourrait se généraliser. Même aux sciences humaines et pourquoi pas à la philosophie, puisque les congrès et les colloques se déroulent déjà la plupart du temps dans une langue qui ressemble à celle de Shakespeare, quoique de très loin. Le vice-recteur de l’Université de Genève observe en outre que « les thèses sont en anglais dans un très grand nombre de filières ». Pour exister dans la compétition économique, l’anglais est obligatoire, il l’est aussi dans la compétition scientifique, c’est-à-dire dans la recherche, et donc là où l’on pense le monde dans lequel nous vivons.

Il fut un temps où les universités de toute l’Europe parlaient la même langue, le latin. C’était aussi un temps où une élite de pouvoir et de savoir minuscule régnait sur tout le continent. A partir de la Renaissance, l’émancipation des cultures s’est faite contre cette langue unique. La diversité de la pensée européenne s’est construite dans les langues nationales et dans les universités dont le rayonnement était lié au fait d’exister dans leur propre langue. Et dans chaque nation, c’est par un choix et une action politiques parfois violents qu’une langue unique a été imposée. Aujourd’hui, il semble qu’une université ne puisse rayonner que si l’on y parle anglais. Le danger n’est pas l’anglais, mais qu’au nom de l’efficacité tout le monde - chercheurs, enseignants et étudiants - soit sommé de ne penser qu’en anglais.

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