Solitudes modernes et souffrance sociale
source : http://www.secourspopulaire.fr/
Les regards extérieurs sont indispensables pour prendre conscience de sa personnalité. C’est l’idée que synthétisait Sartre dans Huis-Clos avec son célèbre « L’enfer, c’est les autres ». À l’inverse, l’absence de relations sociales peut devenir une autre forme d’enfer. L’isolement relationnel crée des sentiments profonds de solitude et d’ennui qui font souffrir et peuvent conduire jusqu’au suicide. Aujourd’hui, les classes sociales modestes et les personnes âgées sont les plus menacées par la désagrégation des liens sociaux.
Bien sûr, tout le monde peut être amené à se sentir seul quel que soit son âge ou sa situation. Mais la pauvreté des relations découle aussi de l’organisation d’une société : aux difficultés matérielles s’ajoutent des raisons morales comme la stigmatisation, la discrimination ou l’oubli qui sont des facteurs sur lesquels il est possible d’agir. Dans le cas des personnes âgées, par exemple, l’accroissement de la durée de la vie conjuguée avec l’augmentation générale de la décohabitation conduit la plupart d’entre elles à vivre seules. Et celles qui sont en couple se retrouvent seules après le décès du conjoint. D’autres facteurs renforcent l’isolement, comme les faibles revenus : aujourd’hui 600 000 personnes ne disposent que du minimum vieillesse, soit 610 euros mensuels. Cela ne leur donne pas droit à la CMU. La grande majorité de ces « bénéficiaires » sont des femmes et des isolés, plutôt en zone rurale. Autre problème d’argent : le prix des maisons de retraite. Elles sont inaccessibles à la plupart des personnes âgées puisque le coût moyen du séjour dépasse de 400 euros la moyenne des pensions. Il faut donc dépendre de la famille si elle-même a les moyens. De plus, cela permet de régler le problème de l’isolement physique mais pas de la solitude. En effet, dans ce type d’établissement, la collectivité est subie, même si la plupart des pensionnaires préfèrent dissimuler les ruptures affectives que cette situation implique. C’est souvent la transgression des règles qui permet de faire revivre un esprit de groupe.
Plus l’âge avance, plus le cercle de relations a tendance à se réduire. Selon les études de l’Insee et les analyses de Jean-Louis Pan Ké Shon (voir la rubrique parole d’expert), l’isolement social progresse jusqu’à 45 ans puis se stabilise jusqu’à 70 ans et croît fortement ensuite. Même lorsqu’elles ont beaucoup d’enfants, les personnes âgées ont des relations privilégiées avec un seul d’entre eux. Bien souvent, le suivi quotidien va reposer sur ce parent, le conjoint ou l’aide ménagère. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la solitude et l’isolement ne sont pas synonymes : la première est un sentiment de mal-être et le second est une donnée objective (mesurée, par exemple, avec le nombre de contacts dans une semaine). La souffrance perçue peut être liée à l’image que l’on a de soi. Or, les vieux apparaissent couramment comme inutiles, malades, inactifs, dépendants. Dans les débats sur les retraites, ils sont souvent présentés comme « une charge économique », rarement comme des personnes qui ont toute leur place dans notre société, sans travailler. Ce regard social participe au sentiment de solitude habituellement alimenté par le manque d’estime de soi, l’éloignement de la famille, de faibles ressources ou l’impossibilité de compter sur quelqu’un en cas de besoin. Catégories stigmatisées
Le vocabulaire diffère, mais les mécanismes sont les mêmes pour bon nombre de catégories sociales. Les chômeurs, par exemple, intègrent les jugements négatifs et rompent plus souvent les liens avec les amis ou la famille. Les discours sur « la remise de la France au travail » culpabilisent un peu plus ceux qui ne parviennent pas à trouver un emploi malgré leurs efforts. Les chômeurs se retrouvent dans une position sociale inférieure et indigne, comme l’analyse le sociologue Serge Paugam. Et ce déclassement favorise le repli social. Il faut ajouter à cela que l’obligation de recourir à sa famille, à des tiers ou à des services sociaux est aussi perçue comme une dégradation morale. La plupart des associations humanitaires prennent ce phénomène en compte pour éviter une stigmatisation supplémentaire. Le Secours populaire, par exemple, encourage la participation à des activités culturelles ou de loisirs comme acteur et non comme simple consommateur. De même, il incite des bénéficiaires de ses actions à devenir, à leur tour, bénévoles de l’association. Outre la revalorisation de l’individu, cela permet aussi de tisser de nouvelles relations sociales. Tissu rural déstructuré
Dans le milieu rural, des évolutions profondes et récentes du tissu social ont rendu plus difficile la perception de la pauvreté. À côté de formes traditionnelles de précarité sont apparues les difficultés des néoruraux. La déstructuration de la société paysanne (les agriculteurs sont très minoritaires à la campagne) a modifié les modes de vie et les solidarités qui y étaient liées. Le regroupement des exploitations, la mécanisation et la fermeture ou la délocalisation des petites activités industrielles (textile ou ganterie en Isère, mines de fer dans l’Orne, robinetterie et serrurerie dans le Vimeu, en Picardie, ou, dans une moindre mesure, le décolletage dans la vallée de l’Arve en Haute-Savoie, par exemple) ont provoqué ou accru la détresse des petits agriculteurs, des chômeurs ou des ouvriers agricoles. Pour bon nombre de jeunes de milieu modeste, l’appartenance à un village ne garantit plus l’insertion sociale. Cela est même ressenti comme une relégation supplémentaire, notamment dans les bassins ouvriers. La dépendance vis-à-vis des parents ne fait qu’ajouter au malaise. Mais le manque d’emploi ne dépeuple pas la campagne pour autant. La recherche d’une meilleure qualité de vie, le prix plus attractif des terrains et des maisons et parfois une vision idéalisée du monde rural attirent de nombreux urbains. Certains passent des heures sur les routes pour travailler en ville, d’autres ratent leur « conversion » et ne retrouvent pas d’emploi stable. Après les banlieues dortoirs, les villes s’ornent d’une nouvelle couronne de « villages dortoirs » où le tissu social reste fragile. Le recul des services publics (en plus des postes, des administrations et des transports, l’accès aux soins devient extrêmement inégalitaire…) et des commerces fait le reste. Aujourd’hui, à la campagne, l’isolement commence dès que l’on a pas les moyens d’avoir une voiture. Même lorsque les solidarités restent fortes, le sentiment de dépendance vis-à-vis de sa famille ou de ses voisins peut aussi créer un mal-être.
Prévenir l’isolement peut se faire en renforçant le tissu social. Certaines politiques locales visent d’ailleurs à désenclaver des territoires abandonnés lors de l’aménagement du territoire. Présent à la fois dans les quartiers populaires et en milieu rural avec, par exemple, des permanences mobiles, le Secours populaire participe, sous une autre forme, au développement de ce tissu social. Cela permet, bien sûr, d’apporter une aide matérielle à des personnes isolées et d’encourager le bénévolat. De plus, le SPF lutte en permanence pour effacer les images stigmatisantes que la société renvoie, parfois involontairement, aux personnes qui font appel à lui parce qu’elles sont âgées, retraitées, au chômage, immigrées, jeunes, handicapées… Quelqu’un qui est valorisé sera moins tenté de se replier sur soi. C’est essentiel pour ne pas s’enfoncer dans l’isolement.
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