Peinture du fascisme et du sadisme encore à ce jour inégalée. Pasolini sera torturé et assassiné trois jours après la sortie Salo ou les 120 jours de Sodome.
Lorsque Pasolini découvre la grande scène d’orgie nazie, et le massacre qui s’en suit, dans Les Damnés (1968) de son compatriote Luchino Visconti, il n’a qu’une idée en tête : réaliser un film dépeignant, du début à la fin, une orgie sadique et fasciste. Ce film sera Salo ou les 120 jours de Sodome.
Librement inspiré du divin marquis de Sade, Salo décrit en huis clos, dans un château, l’esclavage sexuel de neuf jeunes femmes et neuf jeunes hommes par quatre dirigeants fascistes en pleine République de Salo (proclamée par le Duce en 1943). Le film se (dé)compose en trois tableaux : "Le cercle des passions", "Le cercle de la merde" et "Le cercle du sang". Chaque partie surrenchérissant dans l’horreur.
"Cette dénonciation du fascisme donne un film dégradant, insupportable et dont chaque spectateur se sentira sali, quel que soit le talent évident du cinéaste." [1] La critique internationale en veut beaucoup au film et, bien souvent, à Pasolini lui-même. Personne ne sait comment prendre Salo. Par quel côté l’envisager en effet ?
Pour Roland Barthes et quelques autres, Sade ne devrait même pas être adapté au cinéma car selon lui : "Le fantasme s’écrit, il ne peut se décrire." [2] Les plus grands s’y perdent. Peut-on filmer, doit-on filmer, la scatologie, la torture ? Voir en plan serré une jeune femme forcée à manger des excréments, comporte-t-il un quelconque intérêt ? Où est l’éthique ? Le cinéma, et plus généralement l’art, doit-il s’imposer des limites à ne jamais franchir ?
La limite du cinéma ne résiderait-elle pas dans le corps et la cervelle des spectateurs ? La salle obscure comme terreau, l’écran comme soleil, l’âme comme océan, pourrait-on écrire. Salo de Pasolini est peut-être un "cri moral qui frôle le délire" [3], il reste en tout cas un film qui ne peut laisser indifférent. Cette indifférence à la base même du totalitarisme. Indifférence, mode des absentionnistes, monde de terreurs jamais avouées, trop rarement labourées.
Comment écouter et regarder jusqu’au bout Salo sans avoir le cœur au bord des lèvres ? Sans être transpercé par ce film en flèche ? Au fond, c’est bien d’amour dont nous parle l’ange Pasolini, appelant toutes nos fibres émotionnelles, reconvoquant notre cœur souvent trop occulté, réveillant notre conscience endormie, déliant nos langues par amour de la parole libérée et du cri de révolte, vital. Pasolini avait, lui, un cœur bien accroché à ses nerfs et à ses veines, un cœur de poète, ouvert, entier, intègre, foncièrement courageux, avec plus de sang bouillonnant que les autres mortels peut-être. Une chose est sûre : Pasolini avait du cœur. Et vous ?
1 commentaire:
J'avais laissé cet article sans commentaire.
Pourtant je voulais poser combien nul n'est besoin de voir ce film pour avoir une conscience aigue de la cruauté, du fascisme banalisant la violence et la torture.
j'ai posé cet article en riposte à la sottise blogosphérique dont la misogynie grossière est à l'aune de sa vulgarité insultante.
(MC et consort se reconnaîtront!)
Oui Pasolini avait du coeur!
Ce film est un cri.
Mais ce film est aussi une torture en lui-même, je l'ai vu dans les conditions d'une manifestation culturelle, dans le cadre d'une réflexion sur la sexualité et ce que j'avais lu, ce qui m'avait été dit au sujet de ce film m'aurait suffi.
Car oui, après cette séance j'avais le sentiment d'avoir les yeux souillés par toutes les horreurs auxquelles j'avais assisté en devant me répéter mentalement c'est un film, c'est du cinéma tant ce qui est montré est insoutenable!...
Et aussi parce que je sais que Pasolini dénonce ce qui existe, dénonce une réalité qui n'a rien de fictionnel.
Comment ne pas être, devenir, rester misanthrope face à l'abjection dont sont capables les hommes!
Dénoncer la violence en la montrant c'est bien l'un des paradoxes auquel est confronté l'art cinématographique, un paradoxe soulevant moult questions d'ordre éthique...
Enregistrer un commentaire