jeudi 6 mars 2008

Beauvoir revue et corrigée par castor


Beauvoir revue et corrigée par castor
source : http://blogfeministe.skyrock.com/

"On ne naît pas femme, on le devient"... En écrivant cette phrase Beauvoir n'était peut-être pas conscience de toutes les remises en question auxquelles elle allait ouvrir la voie. Il faut croire que cette petite phrase a encore du mal à être avalée, presque soixante ans après. Quand elle est réellement comprise (car elle donne souvent malheureusement lieu à un contresens).

Il y a quelques semaines, Le Figaro publiait un article opposant Sagan à Beauvoir. Que Le Figaro s'en prenne à Beauvoir, qui n'a cessé pendant toute sa vie de dire du mal de la droite, ce n'est pas surprenant. Mais la malhonnêteté intellectuelle a des limites. Comparant les manières d'écrire des deux auteures, Le Figaro qualifie la phrase sus-citée de "plate" puis cite une phrase ampoulée de Sagan pour écraser Beauvoir. Je copie-colle le chef d'oeuvre :

L'idéologie ou la vie ? Incontournable, le célèbre : « On ne naît pas femme, on le devient », du Deuxième Sexe. On ne fait pas plus plat, passe-partout. Chez Sagan, la première phrase de Bonjour tristesse plante déjà la grâce de son style (« Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse »), mais celles qui suivent ne sont pas mal non plus : « C'est un sentiment si complet, si égoïste que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie en moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. » La grande classe.

C'est tellement ridicule que ça en serait drôle si ce n'était pas écrit sérieusement. La phrase de Beauvoir, plate, passe-partout ? On peut ne pas adhérer à ce que sous-entend cette phrase, on peut ne pas la comprendre, mais je ne crois pas qu'on puisse y être indifférent-e.
Que disait Benoîte Groult, déjà ?

"Paradoxalement, c'est peut-être de l'excès même de simplicité de son style, de ce désir maintes fois exprimé chez elle de répudier toute afféterie, toute recherche du brillant, du sensationnel, qu'est née sous sa plume cette phrase dont la violence dans la brièveté confine au génie. On signifie difficilement plus en si peu de mots."

Voilà une autre vision de cette petite phrase au style "plat" et "passe-partout" qui a changé la vie et la vision du monde de tant de personnes, à commencer par les miennes...

Mais il y a d'autres manières, plus sournoises, de s'en prendre à Beauvoir. Julia Kristeva a répété à longueur d'interviews radiophoniques ou dans la presse, ou au dernier colloque sur Beauvoir, les mêmes propos. Selon elle, avec "les avancées de la biologie" (lesquelles ? Elle ne le précise pas...), la phrase de Beauvoir n'est plus d'actualité. Plus vicieux encore, Julia Kristeva s'appuie sur la vie de Beauvoir pour contredire les thèses de celle-ci : la vie sexuelle de Beauvoir et Sartre prouverait "la divergence des désirs sexuels masculin et féminin" (depuis quand Sartre est-il représentatif de tous les hommes, et Beauvoir de toutes les femmes ?).

Danièle Sallenave, qui a publié récemment un livre consacré à Beauvoir, Castor de guerre, a, elle, déclaré à plusieurs reprises, des trucs du genre : "Contrairement à ce qu'on affirme, Beauvoir n'a jamais nié la différence entre les hommes et les femmes ! Au contraire, elle a écrit qu'elle n'avait jamais été mécontente d'être une femme, et même qu'elle s'en réjouissait !". Certes, certes. Mais pourquoi Mme Sallenave oublie-t-elle de préciser que pour Beauvoir, les différences entre hommes et femmes - hormis les différences biologiques - étaient d'ordre culturel et non naturel ? Qu'est-ce qui peut bien valoir à Beauvoir ce petit lifting essentialiste, sinon de la malhonnêteté visant à aseptiser sa pensée anti-essentialiste ?

Beauvoir en entretien avec Francis Jeanson (extrait de Simone de Beauvoir ou l'entreprise de vivre) :

"on fait de moi tant de choses ! (...) il est certain qu'il y a des quantités de fausses interprétations de mon féminisme. Seulement, celles qui sont fausses à mes yeux, ce sont celles qui ne sont pas radicalement féministes : on ne me trahit jamais quand on me tire vers... le féminisme absolu, si vous voulez."

Il n'y a pas que les fesses de Beauvoir qui ont été revues et corrigées en couverture du Nouvel Observateur : ses idées finissent par être mal comprises, ou déformées volontairement, à l'aide de phrases citées en dehors de leur contexte, de malhonnêteté intellectuelle cherchant à déconsidérer les idées défendues par Beauvoir en prétendant que celle-ci n'aurait pas vécu en accord avec ses propres convictions (le livre Beauvoir dans tous ses états
http://blogfeministe.skyrock.com/article_1224461500.html
évoque plusieurs articles dans la presse usant de procédés malhonnêtes de ce style). Malheureusement Beauvoir n'est plus là pour répondre elle-même aux personnes qui, en prétendant l'attaquer ou la comprendre mieux que les autres, dissimulent leur conservatisme. Mais que l'on ne se méprenne pas, les féministes radicales qui ont su faire prospérer les thèses de Beauvoir n'ont pas dit leur dernier mot.

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