dimanche 23 mars 2008

"Parole de Femme" Annie Leclerc (extraits)

Une sorte de flotilège à méditer...

Annie Leclerc, "Parole de Femme" (1974) [extraits]

Rien n'existe qui ne soit le fait de l'homme, ni pensée, ni parole, ni mot, pas même moi, surtout pas moi.

Tout est à inventer, les choses de l'homme ne sont pas seulement bêtes, mensongères et oppressives, elles sont tristes, surtout tristes à en mourir d'ennui et de désespoir.

Je les connais les noms de ces grands parleurs: Montaigne, Aristote, Freud, Nietzsche, Marx etc....ces superbes parleurs qui mieux que tout autre m'ont forcé à me taire.

Les hommes ont la parole, les paroles de l'homme ont l'air de se faire la guerre, c'est pour faire oublier qu'elles disent toutes la même chose: notre parole d'homme décide. Le monde est la parole d'homme, l'homme est la parole du monde. Tout ceci est encore bien ancré dans le subconscient de chacun et gardé précieusement dans celui de l'homme qui pourtant s'en défend activement.

Une honnête femme ne saurait être un honnête homme, une grande femme ne saurait être un grand homme, la grandeur est chez elle affaire de centimètres.

La nuance entre homme et Homme est inaudible

Une femme n'est pas un homme donc pas un Homme.

Une femme est une femme, rien de plus clair.

Non, non, je ne revendique pas, la dignité du statut d'homme ne me tente pas, elle m'amuse ou parfois m'agace.

L'Homme ? C’est ce dont l'homme a accouché, nous avons fait les enfants, ils se sont fait l'Homme.

La "vérité" peut sortir de n'importe où pourvu que certains parlent et d'autres se taisent.

La "vérité" n'existe que parce qu'elle opprime et réduit au silence ceux qui n'ont pas la parole.

Non, non je ne demande pas l'accès à la vérité sachant ô combien c'est un puissant mensonge inventé par l'homme. Je ne me donne que la parole, plus sincère, plus honnête.

Ce monde bête, militaire et qui sent mauvais marche tout seul à sa ruine.

La parole de l'homme est un tissu plein de trous, déchiré, effiloché, un tissu brûlé.

Alors voilà que les femmes ouvrent la bouche et que leur langue se délie.

Désormais aucune voix d'homme ne parviendra à couvrir ces voix multiples et vigoureuses.

Mais cela n'est rien encore si la femme ne parvient pas à tisser le tissu plein et neuf d'une parole jaillie d'elle

Car les voix peuvent être neuves et les paroles éculées

Attention, Femme, attention à tes paroles

Ne t'approprie pas la parole de l'homme pour guerroyer avec elle

Ne réclame pas ce dont l'homme jouit car ce n'est rien d'autres que les armes de ton oppression

Ne réclame pas ta part d'un festin qui n'est que de charognes

Ne cherche pas à ce que l'on reconnaisse en toi l'Homme car l'Homme est homme et il n'attend que cette ultime consécration de lui-même.

Que tes paroles de femme soient des paroles de Femme

Je voudrais que la femme apprenne à naître, à manger, à boire....

à regarder le jour et à porter la nuit.

Je voudrais qu'elle aime d'abord la vie, puis l'homme dans la vie.

Pour la femme il y a une multitude de fête de son sexe, la grossesse, l'accouchement, la menstruation, la sexualité en elle même ....

Pour l'homme une seule fête du sexe: le coït

Des autres fêtes, celles multiples de mon sexe, il ne veut pas entendre.

Et cette unique fête à laquelle il était convié il la voulut pour lui tout seul, il exigea de ma présence nécessaire qu'elle soit dévouée à la fête de l'homme, il n'y avait qu'une fête du sexe et elle était virile.

Tant pis pour lui il faudra que j'en parle des jouissances de mon sexe, non pas de mon âme, de ma vertu ou de ma sensibilité féminine, les jouissances de mon ventre de femme, de mon vagin de femme, de mes seins de femme, des jouissances fastueuses dont vous n'avez nulle idée.

Il faudra bien divulguer ce que vous avez mis au secret avec acharnement car c'est là que se fondent toutes nos autres répressions.

Tout ce qui était notre sans être vôtre vous l'avez converti en souillure, en douleur, en devoir, en chiennerie, en petitesse, en servitude.

Après nous avoir réduites à ce rien vous avez créé des ombres de femmes qui vous convenait: domestiques, déesse, jouet, mère poule, ou femme fatale. La seule chose que vous nous avez demandé avec une réelle insistance c'est de nous taire et là, suite à cette lecture je vous vois déja entrer dans cette colère de votre pouvoir discuté, votre amour propre de mâle de pouvoir bousculé.

A dire vrai vous ne pouviez rien exiger davantage de nous car au delà c'est la mort qu'il faut exiger.

C'est notre silence qui vous a permis de dénigrer notre travail, violer notre corps et tous nos asservissements béats et nos martyres silencieux

On se rend convaincu à ceux qui disent: tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, mais très vite on découvre que celui qui n'a rien, n'a droit à rien.

Votre phallus était un phare dressé sur la nuit océan mais voici l'aurore et la naissance de notre lumière.

Nous améliorerons des choses car nous parlerons de ce que nous savons et savons ce qui est bel et bon.

Pendant que triomphalement vous nous teniez tête, nous nous tenions le coup

Vous aviez beau dénigrer la vie, la craindre et l’insulter, nous n'avons cessé de l'aimer dans le secret et patiemment à travers les siècles.

Car vous avez eu raison de tout sauf de la vie

Pour l'homme la femme vaut qui permet à l'homme d'accompagner son être d'homme et ses croyances mais l'homme vaut de lui-même

Si je pouvais dire comme lui, le meilleur est ce que vise l'homme alors je serai heureuse de le dire mais je ne le peux pas car je n'y crois pas, il grimace à mes yeux d'infirmité et de misère.

Cette stupidité que je vois lorsque je le regarde agir là où il veut être reconnu

Il ne faut pas faire la guerre à l'homme c'est son moyen à lui de gagner sa valeur

Nier pour s'affirmer, tuer pour vivre.

Il faut simplement voir le ridicule de ses valeurs.

Chaque homme sait qu'il n'est pas à la hauteur de la virilité exigée par le monde des hommes, qu'il fait semblant, qu'il parade, mais il ne sait pas que tous les autres sont comme lui, il pense que c'est sa honte à lui, sa misère, Il croit que tous les autres sont virils, et que lui ne l'est pas vraiment, pas assez, pas encore...et si ça se voyait?.....malheur!!!!!!!!!! Alors il met des épaulettes, roule des mécaniques, dresse son fier regard et court les filles comme un vulgaire chien galeux.....

L'homme croit être homme pour son appétit sexuel ou l'aspect d'une quête de pouvoir.....hors du sexe affiché l'homme se dissout, perd son identité, plonge dans une horrible angoisse, qu'il pense être l'idée de sa mort future et qui n'est que le sentiment d'une mort déja réalisée et consommée.

Non ce n'est pas une vie qu'être un homme et s'il faut apprendre à voir toute chose autrement que par le regard de l'homme c'est parce que l'homme porte en lui autant de malheur que de misère.

ô femmes depuis le temps que les hommes cognent à vos oreilles le vacarme du désir...quel est le noeud de ce désir dont le seul nom les fait bander.....assez d'histoires autour du désir assez de transes et de stériles emportements...quel est le fin mot de ce désir dans lequel indéfiniment ils s'engagent faute de ne pouvoir s'approuver ailleurs?

Toute volonté d'introduire et de comprendre la femme dans la parole la plus constante de l'homme est un échec.

Si vous pouviez pressentir un autre versant au désir, versant nocturne, délié de contraintes.

Appel, attente, ivre et gonflé d'attente, élargissement, dilatation, si vous pouviez arrêter d'associer désir à projet, émergence et jaillissement hors de soi alors je pourrai aussi jouir de votre mot.

Mais si votre désir savait l'immensité de ce qu'il pénètre, la profonde matière de ce qu'il traverse, l'accueil déployé à sa parole, jamais il n'aurait la sotte impudence de me confondre à lui.

Ils ne connaissent de la mort que les cadavres, ils ne connaissent rien de la mort car ils ne connaissent pas la vie, la femme donne la vie, l'homme la détruit, il a cette fascination de la mort, le dieu caché au culte du désir c'est la mort.

Vous "baisez" les femmes et dites dans une expression "vous faire baiser" tout est là ....quoi rajouter?

Longtemps je me suis rebellée contre les hommes mais j'ai pu les voir sourire d'aise à la rébellion féminine et avec perversité jouir de leurs morsures.


Ils croyaient voir dans notre colère un sentiment d'envie de leurs valeurs auxquelles nous n'aurions jamais eu accès.

Faibles à la lumière de la force

Lâches à la lumière du courage

Bornés à la lumière du génie.

Étriqués à la lumière de la générosité

Je leur ai accordé ce qu'ils s'accordent eux-mêmes chaque fois qu'ils ratent leur coup et soupirent: je ne suis qu'un homme après tout...une petite diversion qui mine de rien m'en apprenait déjà de belles....

l'Homme est grand mais attention les hommes ne sont que des hommes, preuve que l'homme s'il me fait la vie, s'il me fait la loi ce n'est pas au nom de ce qu'il est mais de ce qu'il se croit être.....

Et je préfère les hommes qui ne cherchent pas à m'aveugler de leur image mensongère et acceptent leurs torts et leurs erreurs....

La femme a été la complice la plus acharnée de l'homme contre elle-même ...

L'homme va mesurer la reconnaissance de sa femme par son dévouement et ce qui l'opprime c'est cette vertu là

Ainsi il veut se persuader que tout ce qui revient à la femme, soit culturellement, soit les soins ménagers, soit les enfants, soit la maternité, est accompli par et avec dévouement pour lui....

L'homme a donc parlé des travaux domestiques comme bas et ingrats

Mais comme la tâche de la femme, travaux ou faits sexuels est nécessaire à la société d'une part et à la reconnaissance de l'homme de l'autre elle est digne de la femme.

Ce n'est pas soigner sa maison, ou prendre soin de ses enfants qui est dégradant, non absolument pas mais c'est le regard que l'homme et la moitié de l'humanité regarde de haut, pire ne regarde même pas.

Si ce travail était perçu à sa juste valeur, il ne serait plus ce boulet, cette oppressante humiliation de ne pas exister.

Ce que j'apprends dans le bonheur de la maternité c'est qu'il faut cesser de calomnier ce dont l'homme est exclu ou ce qu'il a dédaigné.

Tout ce qui touche la femme est dénué d'envergure et de poids véritable, tout ce qui touche la femme dans son corps est souillure, peine, souffrance, perversité.

Si tu n'es ni jeune, ni belle dans cette société crée par l'homme tu n'es plus ou pas véritablement femme.....

Les hommes ont inventé leur monde, tracé les sillons, dressé leur sexe et bandé leurs muscles et vous femmes qu'avez vous fait?

Oh oui femmes vous avez souffert en silence, vous avez saigné vous aussi, et bien sué , pleuré et gémit mais ni vos larmes, ni votre courage, ni votre sueur ni votre sang n'ont jamais compté pour rien.

C'est difficile à dire mais vous avez même dégradé ce que l'homme vous accordait dans un profond mouvement d'obscure répulsion / fascination, l'horreur de votre sang menstruel, la malédiction acharnée pesant sur votre gésine, l'écoeurant nausée au spectacle de votre lait....

Car comment avez vous répondu à ces superbes condamnations? Vous avez fait de votre sang, de votre gésine, de votre lait des choses à laisser de coté, à souffrir en silence, des choses à supporter comme les maladies.

Il y avait moins de mépris et plus de vérité encore dans le regard que les hommes portaient sur nous que dans celui que nous portions sur nous-mêmes car à vrai dire nous n'en avons jamais porté aucun, nous avons détourné de nous -mêmes notre regard, nous nous sommes méprisés et gommées.

Qui reprocherait aux hommes d'avoir conçu leur sexualité qu'à travers par ou pour leur sexe quand nous n'avons rien fait pour percevoir le nôtre et sa propre sexualité.

Et pourtant c'était si simple car nous en avions un sexe et chargé de tant d'évènements, d'aventures et d'expériences que l'homme aurait pû en pâlir d'envie et de jalousie.

Et voilà que c'est nous, si riches, dont on a réussi à faire des envieuses.

On? Qui on? Nous femmes plus que quiconque je le crains.

Comment appellerais-je ma gésine, mes règles, mon gros ventre, mon lait sinon faits de mon sexe, qu'appellerais je aussi tout ce que je vis par eux à travers eux sinon ma sexualité, comment appellerai-je le plaisir de mon sexe si ce n'est ma sexualité.

Quand ils ont parlé de répression de la sexualité c'est à la leur qu'ils ont pensé accessoirement à la nôtre quand trop de censure imposé à notre sexe ont fini par contrarier l'heureuse expression du leur.

Nous n'avons jamais considéré dans notre sexe que ce qui était pour l'homme ou vers l'homme.

Et nous nous plaindrions d'être pour lui des objets alors que nous n'avons rien fait pour être des sujets?

Nous les avons tous laissé dire, pire, nous avons accepté de taire tout ce qu'ils ne disaient pas, tout ce qu'ils ne pouvaient pas dire étant hommes.

Comment stigmatiser, Freud, Miller ou bataille lorsque 'ils perçoivent tous la sexualité à partir de leur sexe d'hommes...y a t'on vraiment songé à ça?

Il y a dans l'accent des hommes, leurs angoisses et leurs incertitudes, un appel véritablement pathétique de la femme.

Non pas l'appel du désir sexuel, quoique peut être porté par lui, mais l'appel d'une voix de femme, d'une personne Femme, , la volonté obstinée de percer un secret que nous seules pourrions leur découvrir et que nous ne cessons de tenir caché, pire oublié dans l'indifférence et le mépris de nous-mêmes.

Ils ont inventé toute leur sexualité dans le silence de la nôtre.

Les hommes n'aiment pas les femmes, pas encore, ils les cherchent, ils les désirent, ils les vainquent mais ne les aiment pas.

Les femmes, elles se haïssent.

Certaines femmes diraient que je fais beaucoup de bruit pour rien mais c'est qu'elles ne sentent rien, plus rien, même plus les femmes qu'elles sont...

Extraits choisis par Nathalie sur : http://selkis9.spaces.live.com/blog/cns!3D061112615B55A2!7644.entry

· Poche: 203 pages, éditions Actes Sud, collection Babel


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