mardi 18 mars 2008

L'hymen comme butin de guerre par Leïla Sebbar

L'hymen comme butin de guerre par Leïla Sebbar

Une guerre qui ne dit pas son nom mais où l'enjeu principal, c'est la Femme, son âme et son corps. Ici la femme n'est pas l'avenir de l'homme, la femme est le capital de l'homme, corps et âme, avec le retour du refoulé patriarcal, le capital compte l'hymen, le ventre et l'âme.

En état de guerre quelle place pour les femmes ? La maman ou la putain. Le lit de la douleur, enfanter des soldats et les pleurer, le lit des guerriers, se coucher pour le plaisir du soldat violeur. Le conflit armé exaspère ce que la paix a jusqu'ici toléré : que le corps des femmes fonctionne encore comme butin, butin légal, prélevé par une famille sur une autre famille avec l'accord des pères vigilants, un contrat entre hommes avec échange de capital. L'hymen d'une femme appartient au père, au frère, à la famille, au clan, à la tribu.

Qu'on se rappelle les trafics de certificats de virginité achetés à des médecins véreux ou distribués par des médecins compatissants. Si la pratique du drap sanglant est en voie de disparition, le certificat lui, sert de passeport de sécurité. Combien de médecins ont eu à recoudre un hymen pour éviter la tragédie de l'honneur perdu ? Qu'on en interroge certains, aujourd'hui encore. Car comme l'ont écrit les frères des jeunes lycéennes musulmanes de France il y a quelques mois : « Le foulard est notre honneur. »

Le foulard, le hidjab, c'est l'hymen des sœurs. Les jeunes militants portaient en large drapeau, un calicot sur lequel ils avaient écrit ces mots en lettres rouges. Ils marchaient ainsi sur la voie publique parisienne, brandissant l'honneur des sœurs, les uns enveloppés de la Keffieh symbole de la résistance palestinienne, les autres, le front ceint d'un bandeau blanc protestataire, à la manière iranienne... les jeunes frères de ceux qui, il y a une dizaine d'années, réclamaient égalité et justice en basket et keffieh sur les routes de France, aux côtés des sœurs sans hidjab, en jeans et basket, comme leurs frères...

Et voici que de jeunes hommes décident de protéger, le corps et l'âme de leurs sœurs bien aimées, vigiles de la foi et de l'hymen des vierges exposées à la lubricité satanique de la rue, des affiches, de la publicité... de tous les hommes qui les désirent, forcément. Les frères sont là, jeunes, vigoureux, intrépides, pour préserver la virginité de leurs femmes, l'hymen sacré. Car chacun, au soir des noces, recevra dans le lit nuptial une jeune vierge, licite. Consentante.

Dans la guerre, sur l'autre rive, les frères combattent les frères. Les hommes des maquis ne défilent pas dans les rues de la capitale pour sauvegarder l'honneur des sœurs. L'honneur des femmes leur appartient, de droit, ils sont les soldats de Dieu, ils n'ont pas à négocier le butin de guerre. La femme est rare, son hymen précieux, offrande aux soldats des maquis de Dieu, acte de piété, disent-ils.

Et si les femmes ne se rendent pas à leurs raisons divines, ils les enlèvent. On sait maintenant, la presse algérienne a osé parler, et des femmes ont raconté publiquement des viols individuels et collectifs, exécutés comme autant d'actes pieux, avec toute la violence et la cruauté de ceux qui commettent un crime dans l'impunité. Les vainqueurs usent comme il leur plaît de ce qui leur revient : un butin de guerre sacré, dans une guerre sacrée.

Ils sont les maîtres, incontestés. Ils accomplissent une mission, le Djihad les purifie absolument, ils paraîtront devant Dieu en vainqueurs de la foi, innocents. Ils appellent ces viols « mariage de jouissance », ils réclament et ils raptent des vierges, menaçant du couteau ou du revolver les pères et les frères ahuris et terrifiés, déshonorés, où est le contrat ? Certains pères ont renié leurs filles violées systématiquement dans les maquis, séquestrées et maltraitées par une bande d'hommes acharnés à les humilier lorsqu'ils ne les ont pas assassinées ou décapitées devant leurs compagnes...

A quel désordre mental, idéologique attribuer ces actes criminels contre les femmes, sinon à la peur ténébreuse, ancestrale de l'hymen, du ventre et de l'âme des femmes. Une peur qui tue les femmes parce qu'elles résistent. Ces hommes-là qui usurpent, au nom de Dieu, le Dieu de l'Islam, un bien qui n'appartient qu'à elles, l'hymen et l'âme des femmes, ne sont pas des musulmans. Ce sont des assassins, ils doivent être traités comme tels, jugés comme des criminels de guerre.

Il faut traduire ces hommes en justice, devant « Dieu et les hommes », devant un tribunal international. Cela seul pourra réparer les dommages mortels causés aux femmes algériennes, leurs sœurs, au peuple algérien, à l'Umma, la communauté des musulmans.

Article paru dans Libération le 21 mars 1995.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

je voudrais ne pas savoir ce texte. Et tu sais, si les viols en tant qu'arme de guerre sont dénoncés et punis devant les tribunaux internationaux, je me suis même demandé, n'est-ce pas parce que cela contrarie d'autres hommes, une autre 'ethnicité' ? parce que sinon, le viol n'est pas réprimé par aucune société. La loi fait semblant mais la société tolère, voire encourage (porno violente) :o( c'est des jours comme ça où on se demande si on fait bien de mettre des enfants au monde.

sémaphore a dit…

OUI, ils sont dénoncés!...quand à être punis ça c'est une autre histoire!
Les tribunaux internationaux ont dénoncé les viols au Rwanda et en Ex-yougoslavie comme crime contre l'humanité, mais quelles en sont les répercutions ?...

Etre mère, avoir une fille, savoir le sort réserver aux femmes...connaître les dangers, les agressions dont elle pourra être la victime, évidemment, c'est angoissant!

lu sur wikipedia article sur le viol : En moyenne dans le monde, près d’une femme sur cinq sera victime de viol ou de tentative de viol au cours de son existence.

Au XXe siècle, le viol de guerre a parfois été condamné par les cours martiales. Ainsi, il y a eu, selon Susan Brownmiller, 971 condamnations pour viol par les cours martiales américaines entre janvier 1942 et juin 1947 dont 57 exécutions capitales.